Familles
A Bruxelles, le nid perché et lumineux du designer Thibault Huguet
Chez
Thibault Huguet et Lisa Antoine
Nous les rencontrons au faîte de la rentrée et surtout, en pleine Paris Design Week. Le couple de trentenaires déménageait à Bruxelles il y a quatre ans, en plein confinement, suivant une opportunité professionnelle de Lisa dans le domaine des politiques européennes. Une aubaine pour le designer Thibault Huguet, qui aspirait à un changement de vie – et à plus d’espace pour créer ses prototypes. A la tête du collectif de jeunes designers Meet Met Met, avec son associé Jean-Baptiste Anotin, il œuvrait justement ces derniers jours comme commissaire d’exposition à l’occasion de la semaine du design. Ce fils d’instituteurs, à l’enfance qui sonne comme celle d’un Marcel Pagnol, nous donne le sentiment de s’appliquer à demeurer hors du temps. En témoignent ses pièces profondément fonctionnelles, à l’esthétique toutefois intemporelle – on vous le promet, ces termes ne sont pas ici vides de sens – faisant la part belle à l’artisanat, dont le geste infini et la technique précise l’intéressent avant tout. De quelle époque sort Thibault Huguet ? On ne sait, mais son travail, quant à lui, est bien celui de la génération actuelle : polymorphe. Ils nous reçoivent à Bruxelles, au milieu de leurs objets chinés (quand ils ne sont pas l’œuvre du designer).
Lieu
Bruxelles
texte
Elsa Cau
Photographies et Vidéos
Valerio Geraci
TSF
Lisa, Thibault, qui êtes-vous ?
Lisa
J’ai 32 ans, j’ai grandi à Amiens, dans le nord de la France. Je viens d’une famille de scientifiques. J’aime voyager, surtout me rapprocher de l’océan dès que je peux pour faire du surf. J’aime passer du temps à dénicher de la musique (surtout électronique) et des bonnes adresses, à Bruxelles ou ailleurs.
Thibault
J’ai 35 ans, je suis né à Roanne en région Auvergne-Rhône Alpes. J'ai grandi dans un tout petit village auprès de parents instituteurs. Je me passionne pour l'archéologie et la géologie ainsi que le dessin depuis que je suis enfant et au lycée j'ai décidé d'en faire mon métier. Aujourd'hui je suis designer. Je travaille en freelance pour de grandes marques de luxe comme Cartier, Paco Rabanne ou encore Givenchy ou des agences d'architecture pour qui je dessine du mobilier, des objets et des flacons de parfum. En parallèle de cette activité j'ai créé ma propre collection de meubles que j'auto-édite. Mes pièces sont fabriquées uniquement en France et en Belgique. Depuis l'année dernière j'enseigne aussi le design à l'École Boulle.
TSF
Quel est votre parcours, à chacun ?
Lisa
J’ai choisi d’étudier les sciences politiques à Lille et à Barcelone, puis j’ai vécu à Paris et maintenant à Bruxelles où je travaille dans les affaires européennes.
Thibault
J'ai fait des études d'art appliqué jusqu'en master, et j'ai terminé par l'école supérieure d'art et de design de Saint-Etienne. Puis, je suis allé à Paris où j'ai vécu 6 ans et rencontré Lisa...dans une boîte de nuit éphémère, sur le toit du théâtre du Châtelet !
Lisa
On s'est rencontrés en dansant.
TSF
Thibault, Parlez-nous du collectif de jeunes designers Meet Met Met.
Thibault
Nous l'avons créé à trois, avec Jean-Baptiste Anotin et Helder Barbarosa. Nous nous sommes rencontrés à la Paris Design Week il y a deux ans et nous avons eu envie de monter notre propre collectif pour nous représenter, nous, mais aussi les designers de notre génération, avec une liberté totale dans la conception d'une exposition, ce qui n'est pas le cas avec une galerie, par exemple. Nous avons présenté notre première exposition l'année dernière, qu'on a imaginée de A à Z, en touchant aussi à la scénographie. C'est une association, donc nous ne vendons pas les designers que nous présentons et ne récupérons rien. Ce collectif se fait au gré des opportunités, et chacun de son côté continue de travailler à sa propre carrière. Mon actualité à moi, c'est d'être intégré aux ateliers Zaventem de Lionel Jadot. Je travaille aussi avec plusieurs céramistes flamands pour une collaboration lancée par Wallonie Design, un organisme belge. Enfin, j'entame ma deuxième année en tant que professeur à l'École Boulle.
TSF
Dans quel environnement avez-vous grandi et comment a-t-il influencé vos goûts ?
Lisa
Je viens de région, mais je suis profondément citadine. J'aime le côté dynamique des grandes villes, qui me correspond tout à fait. J'ai d'ailleurs eu du mal à quitter Paris. J'en ai rêvé, de Paris ! Sinon, mes parents étaient de vrais voileux, on allait beaucoup en Bretagne. Résultat, je suis folle de la mer. Bon, à Bruxelles, c'est un peu frustrant... Mais dès qu'on peut, avec Thibault, on file faire du surf. Je me définis vraiment par cette passion, j'ai passé ma vie au bord de l'Océan. J'ai aussi longtemps passé mes vacances dans le Lot-et-Garonne, chez mes grand-parents et surtout beaucoup de temps dans l'atelier de mon grand-père, qui était graveur. J'ai été sensibilisée très jeune à l'artisanat. Je m'y intéresse toujours énormément, notamment à la céramique.
Thibault
Mes parents étaient instituteurs. J’habitais au-dessus de l'école et j'étais élève de mon père, dans une classe unique, allant de la maternelle au CM2, qui comptait chaque année entre 13 et 20 élèves tout au plus. J'ai vécu une enfance très bucolique et j'ai ce rêve de revenir à la campagne, contre lequel se bat Lisa (rires)... Je bricolais et dessinais beaucoup avec mon père, qui était passionné d'aquarelle – depuis, il s'y consacre entièrement –, mais aussi du milieu maritime et de ses éléments, comme les vieux gréements. On a fabriqué beaucoup de maquettes de bateaux et d'avions ensemble. J'ai tout de suite aimé ces moments manuels et ils ont eu une grande influence sur moi, par le fait de construire quelque chose de mes mains.
TSF
Une enfance à la Marcel Pagnol !
Thibault
C'est vrai. J'ai adoré mon enfance. Ma mère, quant à elle, est passionnée d'histoire et quand j'étais gosse, je voulais devenir archéologue. Ce qui est amusant, c'est qu'aujourd'hui, quand je travaille pour réaliser une pièce, j'ai une approche un peu scientifique, je fouille au maximum le travail de l'artisan pour comprendre les mécanismes de la main et fabriquer un objet. Je pense tenir cela de ma mère.
TSF
Quelle est l'histoire de cet appartement ?
Lisa
Pour nous, elle a commencé en 2020. On avait besoin de déménager pour des raisons professionnelles qui m’étaient liées. J'ai programmé plusieurs visites d'un coup lors d'un aller-retour. J'ai vu les volumes et surtout cette très grande baie vitrée, cette sensation d'espace – il faut préciser qu’on est grands, 1,85 m et 1,87 m – et toute cette lumière. J'ai aussi aimé les poutres. C'est le premier appartement que j'ai vu à Bruxelles. Thibault l'a validé à distance. Le petit plus, c'est qu'on a découvert notre quartier, après-coup, puisqu'en plein covid, tout était fermé. On s'est aperçus avec joie qu'il était très vivant, rempli de jeunes et de commerces.
TSF
Quelle ambiance, quel décor avez-vous voulu créer chez vous ?
Lisa
Il n'y avait pas vraiment de plan très défini. On voulait simplement quelque chose de chaleureux, pour nous, et la possibilité de faire des dîners, pour nos amis. On se sent ici comme dans une sorte de cabane perchée. Et même si c'est le métier de Thibault, la décoration est quand même réfléchie à deux ! On échange pas mal sur notre travail. On est arrivés ici en plein confinement, donc on a beaucoup parlé design et politique (rires). On s'est installés ensemble ici, à Bruxelles, donc il y a les meubles et les objets qu'on a apportés, chacun de notre côté, mais le reste a principalement été chiné, quand ce ne sont pas des prototypes de Thibault. Comme nous sommes locataires, seule la décoration peut changer. Ma passion pour la mer se retrouve aussi dans notre intérieur : on a beaucoup de touches marines, dont deux tableaux marins réalisés par des amis, représentant des vagues, parfois un peu hybrides, en vague et montagne. Depuis, c'est assez évolutif. Et Thibault et moi, on se bagarre toujours pour les tableaux : je les voudrais au mur, lui au sol (rires).
Thibault
C'est vrai qu'il n'y a pas vraiment de logique de décoration chez nous. Tout évolue, et il y a une notion de nomadisme qui me plaît : les tableaux au sol, c'est pouvoir les déplacer et les changer quand on veut, selon ce dont on a envie de s'entourer. J'aime bien vivre dans mon petit bordel parce que c’est stimulant d'un point de vue créatif. J'aime aussi l'idée d'avoir plein d'éléments que j'ai rapportés d'un peu partout, me dire que chaque objet qui est chez moi, je suis capable d'en raconter l’histoire. Bruxelles, c'est aussi l'une des capitales de la brocante, alors on chine beaucoup.
TSF
Pouvez-vous nous parler d'une pièce, un meuble, un objet ou une œuvre que vous aimez particulièrement ici ?
Lisa
On a construit notre bibliothèque tous les deux, je me suis vraiment prise au jeu. Comme on l'a faite en deux fois, les teintes du même bois sont légèrement différentes. Sinon, on est beaucoup partis ensemble au Maroc, où je me rends moi-même depuis très longtemps. J'aime beaucoup le tapis qu'on a rapporté et placé dans le salon, qui en remplit quasiment tout l'espace. Il apporte une vraie chaleur au lieu, et quand on l'observe, on pense toujours à l'endroit où on l'a acquis, un souk qu'on avait aimé. On n'est pas toujours d'accord côté décoration, mais pour cet achat, ç'avait été très fluide ! J'ajouterais que j'aime beaucoup la lampe en métal dessinée par Thibault, placée à différents endroits de la maison. C'est un objet faussement simple, radical, à la fois courbe et tout en angles.
Thibault
Me concernant, j'aime beaucoup l'une de mes dernières acquisitions, une chaise Aluflex dessinée dans les années 1950 par le designer zurichois Armin Wirth. J'aime la conception de cette assise : on y voit le détail des assemblages, un travail auquel je suis très sensible. Et j'aime beaucoup notre photographie d'Elliott Verdier, avec qui j'ai collaboré : j'ai réalisé le coffret de son livre.
TSF
Quelles sont vos actualités, Thibault ?
Thibault
Nous sommes en pleine Design Week parisienne et, actuellement, avec mon associé du collectif Meet Met Met Jean-Baptiste Anotin, on s'occupe de la curation des espaces « Factory » de la Paris Design Week. On a sélectionné des designers de la jeune garde en fonction de la thématique de l'année : Terra Cosmos, espaces d'avenir. L'idée, c'est de donner à voir un instantané de ce qui se passe sur la scène design internationale.
TSF
Quelles sont vos bonnes adresses à Bruxelles ?
Lisa & Thibault
Calmos (Rue de Tamines 1, Bruxelles) notre bar à vin préféré ! Il y a toujours une super ambiance, de la bonne musique funk-disco, du bon vin et d'excellents croque-monsieur servi avec un ketchup maison – parce qu'en Belgique on les mange avec du ketchup. La pompe (Chau. de Waterloo 211, Bruxelles) est un bar ouvert dans une ancienne pompe à essence : c’est une institution dans le quartier. On peut y aller à toute heure, pour prendre un café le matin, bouquiner au soleil, déjeuner ou prendre l’apéro. Le longue-vie (Rue Longue Vie 31, Ixelles) est un très beau restaurant ouvert l’an dernier à Ixelles avec un look de bistrot, une décoration assez brute mais chaleureuse, un grand bar, des cuisines ouvertes, des bons plats à partager et du vin nature. A Brood (Av. Brugmann 225, Ixelles) on trouve d’après nous le meilleur pain de Bruxelles ! Enfin la galerie Object With Narrative (Pl. du Grand Sablon 40, Bruxelles) a été inaugurée lors de la dernière édition de Collectible. Elle a été créée par la maison d'édition du même nom. C'est un lieu incroyable architecturalement parlant et la curation met en scène des pièces de designers belges et internationaux.
TSF
Que pensez-vous de The Socialite Family ?
Thibault
Je dois admettre que j'ai découvert ce média il y a quelques mois et j'ai été séduit par la ligne éditoriale. Voir des gens vivre simplement dans leur appartement est assez éloigné de l’image que nous avons l'habitude de voir dans les magazines de déco souvent un peu trop aseptisés à mon goût. La spontanéité qui émane des images donne immédiatement un sentiment de proximité qui est très agréable pour le lecteur.
TSF
Avez-vous une pièce favorite dans notre collection ?
Lisa & Thibault
La table basse métal gigogne
pour l'efficacité et la simplicité de la forme et l'usage d'un seul matériau. Et la table d'appoint rose
qui s’intègre et s’adapte à tout intérieur !