Familles

A New York, la sculptrice argentine nous ouvre ses portes

Tamara Kostianovsky chez elle à new york

Chez

Tamara Kostianovsky, pour un bestiaire de l'étrange

Elles dégoulinent d’une table, grimpent aux murs ou glissent du plafond, dans un amas de couleurs passées. Les chairs de l’artiste argentine Tamara Kostianovsky sont formées de textile récupéré, certes, mais elles paraissent étrangement vivantes. Carcasses silencieuses et troncs d’arbres tissés nous parlent ainsi d’un monde violent, croisement entre l’Amérique latine et les États-Unis, l’expérience coloniale des uns, le cycle de consommation des autres, dans un ensemble de réflexions menées à propos de ces cultures distinctes. Ces secondes peaux, comme les nomme leur créatrice, sont aussi l’occasion de multiples analogies : corps d’animaux dépecés, corps féminin violenté, hommages à l’ère des disparus et fast fashion contemporaine sont autant de sujets abordés dans l’œuvre de la sculptrice. Ce bestiaire d’horreur et de poésie envahit jusqu’au 3 novembre le parcours permanent du Musée de la chasse et de la nature, à Paris. The Socialite Family a rencontré l'artiste chez elle, à New York, le temps d’une immersion dans son univers étrange.

Lieu

New York

texte

Elsa Cau

Photographies et Vidéos

Constance Gennari

Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
La sculptrice Tamara Kostianovsky chez elle à New York
Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
La sculptrice Tamara Kostianovsky à New York

TSF

Qui êtes-vous, Tamara ?

Tamara

Une artiste passionnée, une immigrée, une mère, une sorcière qui extrait un sens à partir des matériaux du quotidien. Une femme en harmonie avec l'intérieur du corps. Une amoureuse des processus naturels.

TSF

Vous exposez en ce moment au Musée de la chasse et de la nature. Vous êtes aussi représentée par une galerie française, RX&SLAG. Comment avez-vous imaginé cette exposition ?

Tamara

Lors de la mise en place de cette exposition – la première pour moi dans une institution en Europe –, une synergie naturelle s’est établie entre mon travail et la collection permanente du musée, laquelle est centrée sur des peintures et des sculptures liées à la chasse et à la nature. Deux perspectives sont opposées ici : une vision traditionnelle de la nature et la proposition d’un changement de paradigme radical, affirmant que la destruction et la dégradation de la Terre impliquent en même temps la possibilité d’une renaissance, avançant ainsi un manifeste écologique dans un espace de grande visibilité. J’ai créé une grande sculpture d’un arbre mort spécifiquement pour ce lieu ; celle-ci est exposée dans la galerie des expositions temporaires, tandis que le reste de mes œuvres, représentant principalement des animaux morts, est présenté en dialogue avec la collection du musée.

TSF

Avez-vous reçu des prix, des encouragements ces dernières années qui auraient marqué un tournant dans votre carrière ?

Tamara

J’ai eu la chance de bénéficier du soutien de nombreuses organisations au cours des deux dernières décennies. Je leur suis infiniment reconnaissante, chacune ayant permis la réalisation d’œuvres différentes. Je suis particulièrement fière d’avoir reçu une bourse Guggenheim, qui m’a donné un coup de pouce en début de carrière, me permettant de poursuivre mes recherches dans un domaine troublant, lié aux représentations du carnage et de la mort. La plupart des artistes travaillent sans aucune validation du monde extérieur, se nourrissant d’un désir intérieur, d’un sentiment, d’une sensibilité qui guide leurs mouvements. Lorsqu’une fondation prestigieuse offre un soutien, on ressent une forme de reconnaissance, pas seulement d’un point de vue professionnel ou financier, on reçoit surtout l’assurance que cette chose étrange que l’on fait peut résonner avec force chez les autres.

TSF

Pouvez-vous nous décrire votre travail ?

Tamara

Je réalise des sculptures naturalistes et des installations à partir de vêtements usagés, principalement des représentations d’arbres morts, d’oiseaux exotiques et de carcasses d’animaux. Pour moi, ces œuvres parlent de violence, de la culture de consommation et de l’environnement. Le choix du matériau est très important : je considère le tissu comme une sorte de « seconde peau ». J’ai grandi en Argentine et mon père pratiquait la chirurgie esthétique à Buenos Aires dans les années 1980. Étudiante en arts plastiques, j’ai fait un stage dans son cabinet, où j’ai découvert l’un des mondes visuels les plus riches – celui qui se cache juste sous la peau. Les couleurs et textures que j’y ai vues ont eu un impact direct sur mes études. Le rouge en cours de peinture n’était pas simplement du rouge : c’était la couleur du sang. Je suis entrée dans le monde des textiles par la chirurgie, et cette perspective continue d’influencer mon travail. À ce jour, mes œuvres sont assemblées suivant des techniques de suture chirurgicale : le tissu fait office de peau, tandis que les carcasses et les arbres deviennent des métaphores du corps.

TSF

Vous définissez-vous comme sculptrice ?

Tamara

Oui. Cela peut ne pas sembler évident au premier regard, en raison de l’utilisation du textile, mais mon travail relève de la sculpture traditionnelle, en ronde-bosse, et je m’exprime dans le langage des arts visuels et de la tridimensionnalité. La sculpture est une compétence que je ne cesse de développer. Le processus de travail exige que je continue d’affiner la technique, de perfectionner les formes, de rendre les volumes plus prononcés, d’exagérer les courbes. Ma formation académique m’aide avec des « problèmes d’artiste » comme la composition, la forme, la couleur, etc. Mais surtout, l’histoire de l’art m’a beaucoup apporté sur l’héritage des artistes qui ont exploré le thème de la chair dans leurs œuvres. Parmi eux, je pense à Rembrandt, Jean Siméon Chardin, Chaïm Soutine, Hermann Nitsch et Adriana Varejão.

Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York

Tamara Kostianovsky

Étudiante en arts plastiques, j’ai fait un stage dans le cabinet de chirurgie esthétique de mon père, où j’ai découvert l’un des mondes visuels les plus riches – celui qui se cache juste sous la peau.

Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
L'atelier de la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
L'atelier de la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
L'atelier de la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
L'atelier de la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
L'atelier de la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
L'atelier de la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York
Chez la sculptrice Tamara Kostianovsky à New York

Dans votre oeuvre, on observe une réflexion sur le recyclage, le gâchis tant de viande que de textile. Vous semblez aussi faire référence aux grands maîtres de la nature morte des carcasses, de Rembrandt au XIXe siècle...

Tamara

Je suis immigrée aux États-Unis, où je vis depuis 25 ans. Mon travail synthétise deux traditions culturelles distinctes : il intègre l’histoire violente de l’Amérique latine à des cycles contemporains de consommation et de rejet de biens aux États-Unis, entremêlant ainsi une imagerie charnelle issue du catholicisme et de l’expérience coloniale avec l’avenir des déchets dans les économies capitalistes. Mon œuvre est profondément influencée par les images de bétail abattu que j'ai vues pendant mon enfance en Argentine, où la viande est une source de fierté collective. Je crée des analogies entre le corps de l'animal dépecé et la violence faite au corps féminin à travers des sculptures naturalistes de bétail mort pour lesquelles je réutilise ma propre garde-robe. Ces œuvres présentent des corps mutilés qui critiquent l'ère des « disparus », cette période des années 1970 où les intellectuels, les étudiants et bien d'autres étaient enlevés par la junte militaire. En continuant de travailler avec des vêtements usagés, j’ai été horrifiée par le fléau accablant des déchets textiles, le mouvement de la « fast fashion » et les nouvelles tendances de l’industrie qui banalisent ces difficultés avec des stratégies telles que « l'éco-marque » et le « greenwashing ». En mettant en scène ces déchets, mes œuvres imaginent un avenir pour les paysages où les vestiges de notre culture matérielle se transforment en corps et deviennent des environnements. Je donne de la visibilité à des matériaux qui témoignent des échanges économiques entre consommateurs et producteurs, imprégnés des histoires d'ouvriers, de syndicats, d’immigrants qui les ont patiemment tissés ; des matériaux issus d’une tradition textile ancienne, alliant artisanat et technologies ; des matériaux composés de fibres naturelles et synthétiques, ceux des hommes entremêlés à ceux de la Terre.

Depuis combien de temps vivez-vous à New York et quelle ambiance avez-vous voulu créer chez vous, dans cet appartement ?

Tamara

J’habite à Brooklyn depuis plus de vingt ans. J'ai déménagé de nombreuses fois, mais l’appartement où je vis actuellement est le seul dans lequel j’ai eu l’opportunité de concevoir l’espace selon mes goûts et mon mode de vie. J’ai travaillé sur le design avec une architecte, Eugenia Kralj, qui a compris ma vision, et avec un entrepreneur qualifié, qui l’a concrétisée. C’est un petit appartement new-yorkais, où aucun espace n’est gaspillé. Il met en avant une appréciation pour l’artisanat, visible dans l’utilisation des textiles et des carreaux. Il est également coloré et rempli de plantes, car je voulais évoquer les couleurs naturelles et la luxuriance de l’Amérique centrale. Mon atelier se trouve ailleurs, dans un espace plus brut, spacieux et industriel, avec de hauts plafonds et de grandes portes pour accueillir la production et le passage de grandes œuvres sculpturales.

Pourquoi n'y a-t-il aucune de vos oeuvres ici, chez vous ?

Tamara

Après une longue journée de travail plongée dans mes créations, je préfère revenir dans un espace neutre où je peux respirer et vider mon esprit pendant quelques heures, afin de me ressourcer...

À quoi ressemble une journée de votre quotidien ?

Tamara

Mon chat me réveille précisément à 7h ! Je quitte la maison pour aller à mon atelier vers 8h30 et je travaille généralement jusqu’à 17h. La journée en atelier passe vite et elle est bien remplie : elle implique de la conception, de la résolution de problèmes, la construction d’une partie de la sculpture sur laquelle nous travaillons, des réponses à des courriels et des appels avec mes galeries. En général, nous sommes sous pression pour respecter un délai. Je travaille avec des assistants, designers et artistes. Le travail avec eux est collaboratif et organique, nous nous nourrissons mutuellement de notre énergie et essayons de maintenir une atmosphère positive. Je rentre en voiture, prépare le dîner pour mon fils Théo et moi-même. Théo est un adolescent sportif et gourmet, qui apprécie un bon repas copieux. À 21h30, je suis au lit, épuisée.

Quel est votre rapport avec la France, en tant qu’artiste ?

Tamara

Les Argentins sont obsédés par la culture française, et j’ai grandi en l’admirant, car, pendant des siècles, la France représentait un modèle à suivre. Le français était une langue obligatoire dans le lycée que j’ai fréquenté et l’architecture de Buenos Aires rappelle celle de Paris. Artistiquement, je me sens proche de la palette de Fragonard et, bien sûr, des tableaux de Soutine et Modigliani. On pourrait dire que le désir d’évoquer la culture française flottait dans l’air pendant mon enfance. Récemment, j'ai eu l’occasion de passer du temps en France et je crois maintenant que l’idéalisation de la culture française à l’étranger n’a que peu à voir avec la réalité sur place. La France est culturellement plus riche, plus diversifiée, plus complexe et plus nuancée que cette image idéalisée. La grandeur, l’originalité, la créativité et les valeurs humanistes persistent. Je suis maintenant plus émerveillée par la culture française que je ne l’ai jamais été.

Quelles sont vos actualités ?

Tamara

La Chair du Monde au Musée de la chasse et de la nature, à Paris, se poursuit jusqu’au 3 novembre 2024. Je présenterai également une exposition en solo au Rockefeller Center, à New York, jusqu’en octobre 2025. Et je suis particulièrement enthousiaste à l’idée de présenter mon travail à la Royal Academy de Londres, dans le cadre d’une exposition collective qui ouvrira en juin 2025.

Quelles sont les bonnes adresses de votre quartier ?

Tamara

Le Brooklyn Botanical Garden est mon endroit préféré, à quelques minutes à pied de chez moi. C’est lors d’une de mes visites récurrentes à ces jardins que j’ai trouvé l’inspiration pour la grande sculpture d’un arbre mort que j’ai réalisée pour l’exposition au Musée de la chasse. Par le passé, j’ai vécu dans un quartier de Brooklyn appelé Greenpoint, qui reste un de mes favoris, notamment pour son accès à de larges vues ouvertes sur la rivière. La présence de l’eau atténue la nature parfois oppressante de la ville. Je recommande également le Brooklyn Museum, qui présente actuellement une exposition de 200 artistes de Brooklyn pour célébrer le 200e anniversaire du musée, et je suis très heureuse d’avoir une sculpture incluse dans cette exposition.

Tamara Kostianovsky chez elle à new york
Tamara Kostianovsky chez elle à new york
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