Chez

Chez Ronit Pardo et Julien Drach, esprits libres et éclectisme

Cet intérieur-là s’observe comme les deux faces d’une carte de jeu. Et pour cause : Ronit Pardo et Julien Drach vivent ensemble, mais ne vivent pas ensemble. Elle fume de longues cigarettes, promène son chien Hanoucca jusque chez lui, à quelques rues d’écart, source du mobilier et des objets du passé pour collectionneurs, architectes d’intérieur et particuliers intéressés. Il photographie, collectionne les cendriers et les boîtes à cigarettes sans fumer, est passionné d’Italie, vit dans un décor pensé comme une mise en scène de l’intime mais se sent tout aussi bien chez elle, avec son grenat aux murs, sa cuisine en laiton et son sol en marqueterie de marbre signés Dimore Studio et répondant aux vitraux de cet immeuble historique, ses folies – qu’il partage – de toutes les époques, toutes les nationalités, toutes les curiosités. Peu importe. The Socialite Family les a rencontrés, ou plutôt s’est immergé chez ce couple atypique et créatif.

Lieu

Paris

texte

Elsa Cau

Photographies et Vidéos

Constance Gennari

TSF

Ronit, Julien, présentez-vous.

Ronit

Je suis une Anglaise à Paris, mais vraie Parisienne depuis vingt ans ! Je suis folle de déco, de meubles, j’adore chiner et j’ai la chance de le faire pour les autres : je source du mobilier et des objets vintage. Je suis tombée dedans par hasard, quand je mettais en place mon propre appartement où nous nous tenons. J’avais l’habitude d’aller aux puces, rue de Lille, dans les grandes galeries et les foires. Un jour, la banque a dit stop : c’est Julien qui m’a soufflé : « Va faire ton sourcing toi-même ! » Ç’a pris beaucoup de temps mais, petit à petit, j’ai appris par moi-même ce qui était de bonne facture ou pas. Puis, les amis sont venus à moi – « j’adore ça », « trouve-moi telle pièce ». Cette activité a commencé vraiment simplement et organiquement, il y a sept ans. De fil en aiguille, elle s’est professionnalisée et élargie aux chantiers des architectes d’intérieur qui font appel à moi, depuis environ cinq ans.

Julien

Je crée des images. Dire que je suis photographe serait presque faux. Je travaille aussi bien la vidéo que la mise en scène – comme mon intérieur, qui est une vraie mise en scène – et je me nourris d’influences picturales en tous genres comme la peinture. Je pense d’ailleurs souvent mes photographies comme des tableaux. J’utilise mon appareil comme je pourrais utiliser des pinceaux. Bref, je fais des images. Je suis artiste. Cocteau disait que ce sont les branches du même arbre !

TSF

Julien, quel est votre parcours ?

Julien

Après avoir arrêté des études de droit très rapidement, je suis parti vers l’âge de 20 ans pour New York, où j’ai pris des cours d’acting et de cinéma. J’avais grandi en France, à Paris, dans une famille appartenant au cinéma… (Sa mère, Marie-Josée Nat, était actrice et son père, Michel Drach, était réalisateur, ndlr). J’ai commencé à m’intéresser aux images à ce moment-là. Je suis autodidacte en photographie. Depuis vingt ans, je ne joue plus la comédie et je suis passé de l’autre côté de la caméra avec bonheur. Cela occupe mes jours et mes nuits. Je rêve même éveillé à de nouvelles images !

TSF

Quelles sont vos inspirations quotidiennes ? Votre intérieur influence-t-il votre pratique ?

Julien

Ma première inspiration, c’est l’Italie, même si ma compagne est Anglaise ! D’ailleurs, je réfléchis à un livre pensé comme un Grand Tour…un peu décalé. Mon appartement est une grande source  d’ inspiration pour moi, j’ai besoin de me retrouver aux milieu de mon univers. Mes objets , mon décor, je les utilise très souvent pour des prises de vues de natures mortes ou des séances de portraits. Surtout, j’y présente mon travail, j’y reçois des collectionneurs, des amoureux de la photographie de tous horizons et tous âges, un peu comme dans une galerie mais en plus intime et chaleureux.

TSF

Quel est le goût de votre enfance ?

Ronit

Mes parents étaient de grands chineurs et amateurs de pièces superbes des années 1970, ils m’ont emmenée dans les brocantes, les déballages et les ventes aux enchères. Le décor, l’intérieur, c’est aussi pour moi une question de rencontre et d’amour : je chinais avec le père de mon fils, je le fais avec Julien. Et puis on a envie d’être dans du beau, tout simplement. J’aime que ce soit vintage, que les pièces portent une âme. J’aime aussi le design contemporain, mais dans un souci de développement durable. Sans vouloir employer un cliché, j’aime conserver ce qui a déjà été fait.

Julien

Mes parents m’ont traîné aux puces très jeune. Ils étaient chineurs, avaient la culture et l’amour de l’objet, m’ont ouvert les yeux et appris à regarder très tôt. J’ai grandi à Paris, ma tante était antiquaire. La transmission familiale a été essentielle pour mon goût. Je ne suis pas matérialiste mais je suis attaché aux objets, non pas pour leur valeur mais pour l’affect qui s’en dégage, au-delà des qualités évidentes de poésie, d’esthétique. Je retrouve dans mes goûts le parti-pris de mes parents, je suis très clairement nourri des lieux et des atmosphères de mon enfance en décoration.

Mon dernier achat : une énième boîte italienne en plexiglas et inox des années 60 en forme de diamant, dans laquelle je vais ranger des cigarettes que je ne fumerai pas.

TSF

Vous êtes ensemble… sans vivre ensemble.

Ronit

J’ai rencontré Julien… Too long ago (rires). À peu près quand je suis arrivée ici, chez moi, en 2015. Il vit ici, il vit là-bas aussi… ça dépend de nos humeurs. Nous avons un mode de vie idéal pour le couple : ensemble, mais sans vrai quotidien. Nous partageons des pièces, comme ses photographies, que j’ai fixées aux murs de mon salon et qu’on retrouve chez lui, comme parfois certains objets en paire, que nous séparons quand nous les achetons ensemble. Ainsi, chacun fait un clin d’œil à l’autre de chez lui… Je lui demande toujours son avis sur ce que j’achète… Mais bon, même s’il dit non et que j’aime, je prends. Ce qui est très étonnant, en revanche, c’est que nos goûts, qui à l’origine étaient très différents – moi plutôt années 1950, lui 1970 – se sont mélangés et, petit à petit, j’ai pris des influences de chez lui ; et vice versa, on s’est enrichis et nourris mutuellement.

Julien

On vit ensemble, mais séparément. Françoise Giroud disait qu’on peut tout partager dans un couple sauf une salle de bains. Avant-gardiste, n’est-ce pas ? Bizarrement, c’est un quartier que j’avais fui, celui de mon ancienne vie, mais le hasard a fait que je me suis retrouvé à deux rues d’ici, ou presque.

TSF

Comment influencez-vous votre goût, mutuellement ?

Ronit

Je suis devenue plus éclectique au contact de Julien, mélangeant par exemple des chinoiseries avec du mobilier moderne, et adepte de petits objets grâce à lui. Nous partageons un goût certain pour l’accumulation ! Julien avait déjà un goût très prononcé lorsque nous nous sommes rencontrés, mais je dirais qu’il s’est ouvert à plus de féminité, de rondeur, de modernité à mon contact.

TSF

Racontez-nous votre rencontre avec cet appartement, Ronit.

Ronit

L’immeuble m’est cher pour deux raisons : d’abord, il est Art déco, une période que j’aime de tout mon être, construit par Henri Sauvage qui a aussi signé l’architecture de La Samaritaine. Ensuite, toute ma famille vit ici, ma mère est au cinquième, le père de mon fils a ses bureaux au deuxième, c’est un vrai kibboutz. On a tout acheté en même temps, en 2014, on a accaparé l’immeuble. L’appartement était une évidence. On n’a pas touché aux pièces de réception si ce n’est la peinture. C’est plutôt du décor. D’ailleurs, c’est un appartement de réception ! Ici, c’est une ambiance du soir.

Ma première pièce ? Un lampadaire français des années 1950 que j’ai surpayé dans une petite galerie juste après mon divorce. C’est l’objet du recommencement, alors je le garde.

TSF

Ce que l’on voit d’abord, c’est la couleur, avec ce grenat aux murs…

Ronit

Je suis arrivée ici après mon divorce. Je voulais peindre d’une couleur de fille ! Mais il fallait aussi trouver un ton assez chaleureux, pas froid. Cette couleur, c’est un genre de rouge framboise qu’on a appliqué en dix couches pour arriver à cette teinte très profonde. Dans la salle à manger, à la fin de l’application, le plafond était blanc. Je me suis dit « il faut y aller ». C’est devenu un écrin. Finalement, on vit très bien avec les couleurs. Bon, à certains moments, je n’ai qu’une envie : vivre dans du blanc ou du beige, tout changer… Mais cela ne dure jamais. Je voulais vraiment de la couleur chez moi, c’est une question de caractère, c’est personnel, c’est chaud, toute la décoration peut être pensée en fonction. En hiver, cette couleur agit comme un baume, transforme les lieux en cocon et apporte une lumière magnifique à l’appartement.

TSF

Chez l’un comme chez l’autre, le regard se porte sur l’éclectisme du mobilier et des objets.

Ronit

C’est vrai que je suis curieuse et que j’aime toutes les époques. Mon œil va de plus en plus vers l’Art déco, cela dit. Je vois tant de choses et je me rends compte de l’absolue modernité précurseure de l’Art déco. J’aime aussi ce qui précède cette période, les années 1910 avec la Sécession – ça, c’est ma belle suspension signée Otto Schulz dans la salle à manger – et cet artisanat si divinement exécuté, l’amour du détail bien fait. J’ai aussi beaucoup d’objets des années 1970 et 1980. Dans une autre vie, j’ai eu ma propre marque de vêtements d’enfants, Pearls & Popcorn. Je faisais tout fabriquer en Inde : un grand moment de couleur qui m’est resté.

Julien

Chez moi aussi, il y a beaucoup de couleurs. J’ai grandi au début des années 1970 et l’une des pièces principales de l’appartement familial était peinte d’un bordeaux pas très loin de celui-ci… Cette couleur m’est familière et me plaît chez Ronit. J’aime aussi l’inspiration de l’Art déco dans les années 1970, la pureté des lignes. Ma décoration est axée sur les années 1960 et 1970. Nous nous retrouvons donc, avec Ronit, sur plusieurs questions de goût… Mais je suis plus attaché qu’elle aux années 1970. Sans doute parce que je suis beaucoup plus âgé (rires).

TSF

Ils vous ressemblent, donc, vos lieux de vie à chacun.

Ronit

Oui ! Chez moi, tout est en perpétuelle évolution, je vends, je rachète, ça tourne. Et parfois, Julien veut que je garde… mais il y a de vraies bases dont la couleur donne le fil narratif. C’est un basique, je ne le vois même plus. Et pour ce qui est du décor… I’m like a design slut, j’aime tout ! J’aime les années 1970, 1980, Memphis, Art déco. Après, c’est l’histoire que tu veux raconter.

Julien

Tous les appartements que j’ai eus – et à venir – sont des univers très chaleureux, en deux mots, comme une garçonnière. On s’y sent bien, je crois, c’est un univers propre. C’est un lieu d’ambiance, un parti pris : beaucoup d’objets, d’ailleurs chez Ronit, c’est presque minimaliste par rapport à chez moi ! Je n’aime pas le terme de cabinet de curiosités, mais on peut bien parler de maximalisme. D’ailleurs, nos intérieurs sont totalement compatibles maintenant, on a cheminé l’un vers l’autre ! On s’est rencontrés au travers de la décoration, de l’amour des lieux, des objets. Au départ, nos univers étaient propres à chacun, très personnels, puis eux aussi ont réussi à se rencontrer. Ce qui aurait pu être un échec total…

TSF

Quelle est l’histoire racontée chez vous, Ronit, alors ?

Ronit

J’aimerais d’abord que ça ne soit pas comme chez tout le monde. C’est l’histoire de quelqu’un qui aime tout et chez qui on est bien, en confiance. J’espère que je ne suis pas une mauvaise hôtesse, parce que je reçois beaucoup. Je suis placée au milieu de tous mes amis. Donc, ici, c’est un vrai lieu de rassemblement. Et j’ai été la première de ma bande à avoir un enfant (désormais adolescent), c’est pourquoi j’ai tout de suite fait venir les autres chez moi. L’appartement se vit à toute heure, au petit-déjeuner, au déjeuner, au goûter, le soir…

TSF

Parlez-nous d’une ou deux pièces que vous aimez particulièrement, ou bien de votre dernière acquisition…

Ronit

Chaque objet a une histoire, c’est difficile… Je peux vous montrer ma première pièce achetée, que j’ai conservée. C’est un lampadaire français des années 1950 que j’ai surpayé dans une petite galerie parisienne qui n’existe plus, juste après mon divorce. C’est l’objet du recommencement, alors je le garde. Pour Julien, c’est d’un goût terrible. L’Italie années 1950, pourquoi pas ? Mais français, c’est trop raide. J’ai fait aussi des erreurs, c’est comme ça qu’on apprend, donc j’en conserve quelques-unes… Mon dernier achat, c’est un petit bureau placé dans le salon que j’adore, ravissant, années 1960.

Julien

Mon dernier achat, c’est une énième boîte italienne en plexiglas et inox des années 1960 en forme de diamant, dans laquelle je vais ranger des cigarettes que je ne fumerai pas. Peut-être sera-t-elle pour Ronit ?

TSF

Ronit, avez-vous noté une évolution du goût, des demandes, des chantiers dans votre métier ?

Ronit

Oui, surtout avec les particuliers. La démocratisation apportée par internet a fait que les gens connaissent peut-être un peu mieux la décoration et suivent beaucoup plus les modes qui se diffusent largement. Mais ce qui m’importe vraiment, c’est de savoir que les pièces que j’achète vont dans des intérieurs que j’aime. Je me vois comme leur gardienne. Cette transmission m’importe beaucoup. C’est frustrant de ne pas savoir où vont les pièces, ce qui est le cas quand vous travaillez de façon plus « professionnelle » en étant en lien avec les architectes d’intérieur plutôt que les particuliers.

TSF

Julien, où pourra-t-on vous retrouver dans les mois à venir ?

Julien

À travers mes photographies exposées à la galerie Connolly, dans Mayfair, à Londres : Shades of Rome, jusqu’au 10 janvier 2024 et à Paris, pour une exposition collective, Une saison archéologique, à la galerie Carole Korngold en marge du salon Paris Photo, en novembre. On peut aussi parcourir mes projets sur mon site.

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