Familles
Sur le port de Nice, un appartement lumineux aux accents italiens repensé par le duo fondateur de Studio Lelaz
Chez
Marion Lepetit, Erkan Varer et Raphaëlle, 6 mois
Les stores en toile rayée, un peu passés par le soleil, clapotent doucement au gré du vent. Juste en bas, les pointus de Nice leur répondent en s’entrechoquant légèrement sous le soleil. Dans cet immeuble typiquement niçois aux couleurs pastel, la lumière s’infiltre partout. C’est bien ce qui a plu de prime abord au couple d’architectes fondateurs du Studio Lelaz. Sans oublier ce petit air d’Italie du Nord qui flotte à travers les matériaux et les volumes de cet appartement familial ouvert sur le port de Nice. En quittant Paris pour le sud de la France, Marion Lepetit s’était imaginée créer un univers aux murs de chaux blanche et au mobilier boisé. C’était sans compter sur les tonalités locales qui continuent plus que jamais, selon ses termes, de l’inspirer cinq ans plus tard. Association, déménagement, découverte, le duo a changé de vie en l’espace d’un an : de quoi piquer la curiosité de The Socialite Family. Nous les avons rencontrés chez eux, autour d’un petit-déjeuner brioché avec vue mer.
Lieu
Nice
texte
Elsa Cau
Photographies et Vidéos
Valerio Geraci, Carine Bouhier
Partout à Nice, l'architecture mêle les influences françaises et italiennes si spécifiques à la côte d'Azur...
Et les couleurs ne se retrouvent pas que sur les façades. Bien des immeubles dissimulent de spectaculaires halls d'entrée.
Sur la table de la salle à manger, dessinée par le Studio Lelaz, une paire de vases d'Eva K.Richard.
Sur une étagère dans le salon, des céramiques chinées et un vase signé Inès Angelini alias Umami, que nous avions aussi interviewée en famille...
Posé en appui dans un angle du salon, un miroir chiné Ultrafragola d'Ettore Sottsass.
TSF
Marion, Erkan, qui êtes-vous ?
Erkan
J'ai 36 ans, je suis architecte d'intérieur et papa de la petite Raphaëlle qui a maintenant 6 mois. On est très heureux.
Marion
J'ai 35 ans et... tout pareil ! On a créé notre agence tous les deux. On vit dans le Sud depuis cinq ans. Avant, on était à Paris. Moi, depuis dix ou treize ans, je suis Normande.
TSF
Quel est votre parcours, à chacun ?
Erkan
Je voulais être graphiste. J'ai basculé vers la photographie. Avant de m'intéresser au design... et de passer à l'architecture d'intérieur. Marion et moi avons étudié à la même école, mais n'avons pas du tout les mêmes compétences !
Marion
Esam Design, c'est l'École supérieure des arts modernes dans le XVIIe arrondissement de Paris. C'est une école privée, mais qui est reconnue par le CFAI (Conseil français des architectes d'intérieur, ndlr). Deux promotions nous séparaient.
Erkan
J'ai été en alternance et je suis passé par des agences d'événementiel et d'architecture hôtelière, Les Deux Ailes (depuis rebaptisée Girós & Coutellier, ndlr), puis l'agence de Fabien Gantois qui a en quelque sorte fait figure de mentor pour moi. Avec Marion, on a travaillé sur des décors pour la télévision
Marion
En fait, on s'est rencontrés sur un décor.
Erkan
Un décor floral.
TSF
Donc, vous ne vous êtes pas croisés à l'ESAM ?
Marion
Si, mais il ne m'a pas remarquée (rires). On s'est rencontrés quand je passais mon diplôme. On a eu une prof de design qui fut l'une de mes plus belles rencontres : Marianne Guedin, qui est scénographe végétale et chez qui j'ai ensuite fait mon alternance. À la fin de l'année, elle nous a mis... sur un décor à créer pour l'émission de téléréalité Secret Story ! Mais c'est sur le décor de Monumenta que je réalisais dans le cadre de ma formation avec Marianne Guedin qu'Erkan et moi nous sommes rencontrés.
TSF
Pourquoi dites-vous que vous n'avez pas les mêmes compétences ?
Marion
Erkan a construit sa carrière dans l'architecture d'intérieur et le domaine du luxe. Quant à moi, j'ai obtenu le même diplôme, mais je me suis concentrée sur les décors. Après, je suis passée chez Inès de la Fressange, pour qui je dessinais le lifestyle : la bougie parfumée, les foulards, les motifs... C'était intéressant, mais ce n'était pas ce que je cherchais, la mode. Et on a atterri tous les deux sur Enfin te voilà ! Là, c'étaient des décors pour la télé, on a dû en faire 120 en deux mois. On réalisait aussi des décors pour des clips, pour des maisons de luxe, pour des vitrines, des lancements, des dîners... C'était une expérience de dingue. J'ai donc bifurqué vers la scénographie avec Atelier LUM, une agence d'événementiel très cool et créative à Paris.
TSF
Quand et comment avez-vous décidé de vous associer ?
Marion
J'ai décidé d'arrêter l'événementiel : le rythme était très dense et j'avais aussi envie de revenir à mes premières amours, l'architecture intérieure. Il me semble qu'à ce moment-là, on a été sollicités par des copains pour faire un appartement. Nous nous sommes officiellement associés en juillet 2019 : on vient de fêter nos 5 ans !
Erkan
Au début, on faisait des petits chantiers d'appartements en parallèle de nos quotidiens. Puis est arrivé un moment où il a fallu prendre une décision... Je me suis lancé d'abord, en freelance. Je voulais monter une boîte et je voulais le faire avec toi. Je t'ai proposé, tu as hésité et, finalement, tu as bien voulu.
Marion
Erkan est très entrepreneur. Moi, j'étais en CDI et j'ai cette éducation concernant la sécurité... ça me faisait un peu peur, de sauter à pieds joints dans le même bateau, aussi.
Erkan
Pour l'instant, on est très contents de nos choix. Et puis en 2019, on s'est dit, va savoir pourquoi : soit on reste à Paris soit on quitte tout.
Lampadaire Parentesi d'Achille Castiglioni et Pio Manzu pour Flos, chaises Gueden, fauteuil Cab Cassina, dessin de Charlotte Colt et mobilier modulaire USM vert : ici, on est éclectique !
Au mur, un tableau d'après Fernand Léger et un portrait de Marion par Charlotte Colt.
Au milieu des objets chinés, trois carafes de Marianne Guedin.
Lampe "Les Siciliennes" éditées par le Studio Lelaz.
Notre vision a évolué avec les années : on est à la recherche de clients qui apprécient le côté authentique, artisanal, fait main que l'on apprécie dans le luxe. C'est peut-être générationnel...
TSF
Changement de vie, de lieu, de travail... Vous avez tout fait en même temps, en quelque sorte.
Marion
À six mois près !
Erkan
Tout s'est un peu mélangé. Au début, c'était : « Allez, viens, on monte une boîte. » On a un pote qui avait une place dans son bureau, il nous proposait de sous-louer... Et là, on s'est posé beaucoup de questions. Pour, in fine, se dire : « On quitte Paris, on va faire ça ailleurs. »
TSF
Pourquoi quitter Paris ?
Erkan
Depuis mes 20 ans, j'ai envie de quitter Paris !
Marion
De mon côté, j'ai mis beaucoup de temps. J'ai adoré ma vie à Paris et je ne me voyais pas partir dans le Sud.
TSF
Parce que, tout de suite, la décision, c'était le Sud ou rien ?
Marion
Pas forcément : cela pouvait être à une heure, comme à huit heures de Paris !
Erkan
J'avais même évoqué l'Australie.
Marion
Et puis, il faut recontextualiser : quitter Paris avant le confinement, ce n'était pas vraiment à la mode... Tout le monde nous regardait avec des yeux ronds, l'air de se demander ce qu'on allait bien pouvoir faire...
Erkan
On venait ici, chaque été, dans le coin. Pas à Nice, mais du côté de Cannes, où mon père a une maison. On s'est dit : « Commençons par une ville au bord de la mer et on verra plus tard si on veut aller plus loin dans les terres. En 2020, coup de bol : on a été confinés chez mon père. »
Marion
On a quitté Paris juste avant, donc on a déménagé quasiment en même temps que le confinement, sans le savoir. On pensait avoir un point de chute le temps de trouver quelque chose.
Erkan
On s'est vite fixés à Nice, mais pas dans le quartier du port, on pensait que ce serait trop cher pour nous. Puis on a trouvé cet appartement qu'on adore, mais dont on est locataires – nous n'avons pas les moyens d'acheter !
Marion
Le quartier est super, c'est celui des antiquaires et notre bureau est juste à côté. On le partage avec l'artiste Charlotte Colt. Il faut dire qu’en quelques années, Nice a vraiment bougé, s'est dynamisée.
TSF
Quitter Paris, cela vous a permis de mieux travailler ?
Erkan
En tout cas, on se sent moins dans la masse. Notre vision même du luxe a évolué avec les années : on est à la recherche de clients qui apprécient le côté authentique, artisanal, fait main que l'on apprécie dans le luxe. C'est peut-être générationnel...
Marion
C'est aussi plus facile dans le Sud de travailler avec des artisans, d'aller les voir.
TSF
Dans quel environnement avez-vous grandi et comment a-t-il influencé vos goûts ?
Erkan
Je suis né à Istanbul. Nous sommes arrivés en France, en banlieue parisienne, quand j'avais à peine plus d'un an. Mon père est un ex-communiste révolutionnaire... L'intérieur n'était pas franchement au centre des préoccupations. Je le décrirais comme vide (rires), en tout cas sans décor spécifique. Mes parents se sont séparés et on a beaucoup déménagé, avec mes frères et ma sœur, dans Paris, à Montpellier, Saint-Mandé, Vincennes... et Nice. On était une famille soudée, quand même. Et tous les étés, on retournait en Turquie. Ma mère, elle, est turque-arménienne. C'est ma sœur qui m'a donné le goût du design. Parce que moi, j'étais un peu perdu. J'étais parti en Australie, comme beaucoup de gens, pour être ailleurs qu'en France. Quand je suis revenu, mon père m’a dit : « Ce serait bien que tu reprennes des études, quand même, parce que tu ne sais pas où tu vas ! » C'est vrai que l'artisanat et le design m'avaient toujours intéressé.
Marion
Moi, j'ai grandi en Normandie. Mes parents sont toujours ensemble. J'ai été élevée dans une grande maison au décor assez classique, ma mère soignait l'intérieur, c'était toujours joliment décoré et apprêté. On ne m'a pas transmis une culture du design ou de l'architecture particulière. En revanche, ma grand-mère avait un appartement plein de passementerie : ce souci du détail, je l'ai toujours aimé. Je n'aimais pas ses meubles anciens, mais elle me disait : « Tu verras, tu y prendras goût plus tard, ton œil va s'affiner ! » À son décès, j'ai récupéré beaucoup de choses que j'ai encore... et j'aime mélanger tous les styles, comme prévu ! Finalement, c'est pareil chez tout le monde, ces histoires de transmission très simples.
TSF
Comment décririez-vous le style du Studio Lelaz ?
Erkan
On n'arrive pas à le définir, je crois.
Marion
Parce qu'il n'y a pas un style particulier. On s'adapte. Plusieurs critères entrent en compte pour chaque projet, l'histoire du lieu, le cahier des charges du client… Ce qui revient fréquemment, c'est le tissu et les rayures.
Erkan
Je suis plus dans la matière et le minimalisme.
Marion
On échange beaucoup.
TSF
Qu'avez-vous voulu créer ici, dans votre appartement ?
Marion
On est arrivés avec rien, vraiment rien. J'ai tout cherché sur Leboncoin. Maintenant, on mélange avec du contemporain comme USM, des pièces d'éditeur, des pièces de copains designers.
Erkan
En arrivant ici, on s'était dit : on reste un an dans cet appartement avant d'acheter quelque chose.
Marion
Ça fait quatre ans (rires).
Erkan
Donc on n'a pas fait de travaux, seulement de la décoration.
Marion
Et comme je suis toujours dans la couleur et les motifs, j'avais pensé pouvoir tenter le décor blanc, bois, plus « du sud » ! Peine perdue : je n'y arrive pas. Ce n'est pas grave, tant mieux, ce n'est pas moi. On aime beaucoup l'appartement tel quel : dans l'entrée par exemple, on se croirait un peu en Italie... C'est vrai qu'à Nice, toutes ces façades colorées et italiennes m'inspirent et m'influencent.
TSF
Pouvez-vous me parler d'une ou plusieurs pièces que vous aimez particulièrement ici ?
Erkan
Moi, la pièce à laquelle je suis attaché, c'est la photo dans le salon d'une de mes amies d'enfance, Laure Tiberghien.
Marion
Parlons de la table basse du salon ! Fabriquée par Erkan. Il a aussi fabriqué le tabouret en carrelage.
Erkan
J'avais trouvé des pieds sur Leboncoin...
TSF
Quel serait votre chantier de rêve ?
Erkan
Un bateau.
TSF
Quelles sont vos actualités ?
Marion & Erkan
Nous venons de livrer une brasserie, appelée Les Mimosas, cours Saleya à Nice. Nous sommes en plein chantier d'une villa familiale à Biot, d’un hôtel du groupe Accor en Espagne et d’une maison au Perreux-sur-Marne.
TSF
Que représente pour vous The Socialite Family ?
Marion
J'ai une réelle affection pour le média depuis le début des parutions. J'aime le parti pris éclectique des portraits, la notion de l'intime, ouvrir les portes de son intérieur sans devoir rentrer dans des cases de styles ou de modes pour un magazine. Les reportages sont singuliers et conviviaux.
TSF
Avez-vous une ou plusieurs pièces préférées dans notre collection ?
Marin & Erkan
La chaise Achille, la ligne et les proportions sont parfaites. Et la table basse Carlotta avec son plateau en marbre rose et ses pieds en iroko, intemporelle !
TSF
Quelles sont vos bonnes adresses à Nice ?
Marion & Erkan
Fanfan et Loulou, la Cave des Copains, pour les vins nat', les vinyles et la bonne humeur ! Les Œillets, au comptoir l'hiver ou en terrasse l'été : l'accueil des garçons, c'est comme à la maison ! Barale : incontournable pour leurs raviolis et panisses, en plus l'équipe est trop sympa. On pousse quelques kilomètres pour découvrir la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer, un bijou architectural inspiré de la Grèce antique.
Posée sur la table basse du salon,
s'intègre discrètement dans son environnement coloré.
Suspension Caravane dans la chambre à coucher parentale.
Dans l'entrée, un miroir en pied Lipstick par Roger Lecal et un tableau de Lucas Le Roy.