Familles
À Milan, l’appartement familial à l’éclectisme léché, entre poésie et radicalité, de la cofondatrice du Studiopepe
Chez
Arianna Lelli Mami et Sofia, 10 ans
Poésie du radical, c’est le titre qu’on aurait donné à l’intérieur d’Arianna Lelli Mami, si cette série en avait eu un. A Milan, l’appartement familial de la cofondatrice de l’agence pluridisciplinaire Studiopepe semble être un manifeste de sa vision, dans laquelle tous les arts, architecture comprise, sont transcendés à travers leur dialogue pour ne former qu’un. En résulte un style – qu’on retrouve d’ailleurs dans la plupart des projets professionnel du duo qu’elle forme avec Chiara di Pinto – aux lignes nettes et précises qui toutefois, peut-être par l’utilisation des matériaux naturels en cascade, s’adoucissent d’une poésie pour autant très présente et tangible. La ressemblance entre Arianna Lelli Mami et sa fille Sofia est saisissante, tant physiquement que dans la gestuelle et surtout, la tranquillité qui émane d’elles deux. On le note tout de suite, en habitué des ambiances de famille : il se dégage de cet intérieur et de ses occupantes une grande sérénité. Tout ici n’est que calme…on vous épargne la suite de la citation, mais toujours est-il qu’au milieu de ces beaux volumes et de ces dalles en marbre hérités du passé architectural prestigieux de Milan, de ces accumulations de gri-gris naturels, morceaux de bois et cailloux aux mille messages, flanqués d’œuvres d’art et de design modernes et contemporains, on se sent entraîné dans une vision précise et originale. Et intime, ajoute la maîtresse des lieux, qui confirme en souriant « j’ai une vie privée créative très intense ». Pénétrer chez Arianna Lelli Mami, c’est donc un peu comme entrer dans son cerveau. Ses envies, ses humeurs, ses inspirations s’y exposent tout à la fois. Visite guidée.
Lieu
Milan
texte
Elsa Cau
Photographies et Vidéos
Constance Gennari, Elsa David, Maeva Dayras
TSF
Qui êtes-vous, Arianna ?
Arianna
Je suis milanaise et je vis ici avec Andrea Ferrari, le père de ma fille Sofia. Nous vivons dans cet appartement depuis quatre ans, donc pas si longtemps, mais nous sommes très heureux de vous ouvrir nos portes : ce lieu représente tout à fait qui nous sommes et nos passions pour l'art, les livres, la céramique et la photographie, entre autres... D'ailleurs, à mes heures perdues, je suis céramiste. J'ai une vie privée intense et créative ! Sinon, j'ai fondé Studiopepe avec mon associée, Chiara di Pinto, il y a presque vingt ans. Notre agence est juste à côté d'ici, donc vous êtes dans mon quartier.
TSF
Quel est votre parcours ?
Arianna
Je suis amoureuse de la ville de Milan, où j'ai étudié l'architecture d'intérieur et le design, à Politecnico. J’ai aussi eu une carrière de journaliste. Et, en parallèle de mon métier d’architecte d’intérieur avec Studiopepe, je ressens un grand besoin de création : je fais beaucoup de céramique et de collages, je peins aussi, écris et photographie parfois. Le mélange des disciplines est essentiel pour moi et me permet une grande liberté dans mon approche d’un intérieur.
TSF
Dans quel environnement avez-vous grandi ?
Arianna
J'ai grandi près de Milan. Ma famille a toujours été passionnée d'art, d'architecture et d'intérieurs. Mon grand-père était architecte d'intérieur et designer. J'ai baigné dans toutes ces disciplines dès l'enfance. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours rêvé à mon futur et à quoi ressemblerait ma vie. J'étais constamment absorbée par mes livres et mes magazines. Je dessinais déjà ma chambre, mes meubles !
TSF
Comment définissez-vous votre style ?
Arianna
C'est difficile à définir ! Il change avec le temps, avec moi. Mon style varie entre l'influence des grands maîtres italiens, comme Portaluppi ou Gio Ponti, qui sont profondément ancrés dans notre héritage ici, surtout milanais, et quelque chose que je qualifierais de curiosité, au sens cabinet de curiosité : des objets ou des ovnis que je chine au hasard des marchés aux puces et de mes voyages. Tout cela semble très disparate mais trouve tout à coup son sens une fois mis ensemble ! Dans mon intérieur, j'aime aussi associer art et photographie, pour compléter le discours que l'on tente de tenir avec l'architecture intérieure. C'est enfin un style mouvant : d'ailleurs, ici, tout se déplace selon nos envies. Ca me détend beaucoup de tout changer.
TSF
Ce qui est étonnant, lorsqu'on est chez vous, c'est que ce style est à la fois éclectique mais paradoxalement, homogène !
Arianna
Au fil des années et des changements, je fais le tri... Je ne conserve que les choses que j'aime profondément. En tout cas j'essaie (rires). Mon intérieur, rien qu'en quatre ans, a beaucoup évolué ! Le style s'affine... Il faut savoir s'adapter à un intérieur. Se dire qu'on essaiera peut-être tout autre chose mais plus tard, ailleurs. Se concentrer sur ce qu'on veut faire passer comme message clair dans un lieu. Mon goût reste éclectique : je mêle les époques, les styles, les objets, mais j'essaie de leur trouver à tous une idée commune. Ici, c'est l'idée du matériau, de la nature, par exemple dans le mobilier que j'utilise, qui provient de mon studio ou qui est chiné, comme dans les objets que je ramasse et que je chéris : mes morceaux de bois, mes pierres, se mélangent ainsi au cuir, au bois, à la soie et à la laine. C'est une approche très organique.
TSF
Pouvez-vous nous décrire en quelques mots le travail de Studiopepe, que vous avez fondé en 2006 à Milan avec votre associée Chiara di Pinto ?
Arianna
Studiopepe, c’est avant tout une approche multidisciplinaire. Nous sommes une agence d’architecture et de design, spécialisée dans le retail de luxe, les projets résidentiels et l’hospitality. Nous travaillons aussi à des installations et autres scénographies éphémères. Le nom Pepe est un hommage à Guglielmo Pepe, un général italien ayant donné son nom à la rue où nous avons ouvert notre premier studio, dans le quartier Garibaldi.
TSF
Vous nous expliquiez à notre arrivée ici que certains éléments sont d'origine, comme les portes et les plafonds ou encore la marqueterie de marbre au sol.
Arianna
Tout était recouvert de lino, de faux-plafonds très bas, de climatisation encombrante. C'était comme un travail d'archéologue de retirer toutes ces couches de modifications apportées aux lieux au fil des décennies. Ce furent aussi de vraies découvertes ! Nous avons conservé tout ce que nous pouvions conserver des éléments d'origine, et parfois complété - ce fut le cas d'une paire de portes pour qu'elles soient assorties aux premières, lorsque nous avons abattu une cloison - parfois refait, comme dans la cuisine où le sol était irrécupérable mais où nous avons opté pour une forme particulière de terrazzo qui, à mon avis, se fond tout à fait dans le décor. En tout, nous en avons eu pour quatre mois de travaux, après quoi nous nous sommes installés ici mais tout le mobilier sur-mesure restait à faire. Nous avons même mis deux ans à terminer la cuisine, parce que nous voulions vivre dans cet appartement et jauger notre besoin et notamment les proportions qu'elle devait prendre, avant ! Elle est plutôt grande et on y passe beaucoup de temps en famille, alors on ne s'est pas trompé. Notre cuisine est un peu notre deuxième salon, c'est très italien !
TSF
Qu'avez-vous voulu créer comme ambiance ici ?
Arianna
Ici, le bâtiment a eu une importance considérable sur notre vision de l'architecture d'intérieur. L'immeuble a une personnalité très forte, des matériaux forts : des marbres de couleur, allant du gris au vert foncé. J'ai d'abord décidé de reprendre cette palette, mais en y ajoutant un aspect plus doux et fluide, in fine plus contemporain. Cela a aussi permis de structurer l’espace de façon douce mais claire et nette. On peut donc observer dans l'appartement des gris et des verts relevés de quelques touches de jaune acide, de rose, de terracotta...et bien sûr toutes les couleurs de la nature. Par ailleurs, cet appartement étant celui d'une famille, je voulais quelque chose qui dure dans le temps, dont on ne se lasse pas. Comme la toile d'un tableau dont on pourrait quelques touches, mais pas le fond.
"C'est parce que les lieux étaient si marqués par le style milanais d’Ambrogio Gadola – un ami de Gio Ponti et de Piero Portaluppi – que nous avons fait très attention à le meubler de façon contemporaine. L’idée n’était pas de vivre dans un décor de cinéma."
TSF
Comment vivez-vous ici avec votre fille ? Cet appartement a-t-il aussi été pensé pour elle ?
Arianna
Elle est très habituée aux objets et aux meubles, qu'ils soient précieux ou non, elle vit avec de la même manière. D'ailleurs, cela ne me viendrait pas à l'idée de lui interdire quoi que ce soit : un intérieur est fait pour être vécu, usé.
TSF
Montrez-nous quelques pièces que vous aimez particulièrement chez vous.
Arianna
Dans le salon, il y a un petit coin qui est le mien, celui où je pose tout ce que je fabrique en céramique. C'est mon Wunderkammer (cabinet de curiosités, ndlr) à moi. Je fais aussi du collage. Et je ramasse beaucoup de choses dans la nature : des pierres, des morceaux de bois et des plantes, ramassés à Lanzarote, en Ligurie, aux îles Eoliennes ou aux Baléares... J'ai ce processus jamais terminé de recherches à propos de la matière, des formes, des couleurs. Juste au-dessus, sont suspendues les photographies de mon mari Andrea Ferrari. De manière générale, j’aime tout ici, nous avons choisi ou créé chaque pièce avec soin. L’appartement contient beaucoup de meubles imaginés par le Studiopepe, par exemple. Et c’est précisément parce que les lieux étaient si marqués par le style milanais d’Ambrogio Gadola – un ami de Gio Ponti et de Piero Portaluppi – que nous avons fait très attention à le meubler de façon contemporaine. L’idée n’était pas de vivre dans un décor de cinéma. Nous avons volontairement évité le mobilier d’époque, à l’exception de quelques classiques de Gianfranco Frattini ou encore de Tobia Scarpa et Joe Colombo !