Familles
L'appartement haussmannien et lumineux pensé comme un cocon exclusivement familial d'Antoine Ménard
Chez
Guillaume et Antoine Ménard, Marcel 9 ans et demi et Romy, 2 mois
Arrivé devant cette entrée d’immeuble de l’ouest parisien, on se pique d’imaginer l’intérieur dans lequel on sera reçu. Sera-t-il bariolé et joyeux, à l’image des extravagants restaurants Gigi aux accents italiens de Paris ou de Ramatuelle ? Démesurément opulent, aux influences fastueuses du XIXe siècle, comme à Maison Revka, chez Maxim’s ou à la dernière-née Baronne, sise dans l’hôtel Salomon de Rothschild ? Sobrement élégant, reprenant les codes de Monsieur Bleu au Palais de Tokyo ou de Girafe, avec vue sur la tour Eiffel ? Ou bien se blottira-t-on dans un chic de campagne, à l’instar des Vaux de Cernay près de Paris ? Tous ces établissements ont un point commun : ils sont la propriété et souvent l’invention d’un groupe, Paris Society, à la croissance et à la réussite fulgurante. On est surpris, lorsqu’on pénètre dans l’appartement du membre de la Direction Générale, également chargé de la création des concepts de la marque. Comprenez : chaque restaurant, chaque hôtel, chaque boîte de nuit. Avant le décor extravagant signé des meilleurs architectes d’intérieur du moment, avant les produits dérivés à succès vendus par chaque établissement, avant le choix du bâtiment – souvent historique – pour abriter les prestigieuses adresses dans lesquelles tous se presseront, il y a le concept. Et ce concept, c’est Antoine Ménard qui l’imagine avec Laurent de Gourcuff. On est surpris, donc, par la sobriété des lieux. Dans cet élégant appartement haussmannien, parquet, moulures et cheminée nous enveloppent dans une atmosphère plutôt apaisante dès l’arrivée. Car si Antoine Ménard, dans sa vie professionnelle un poil envahissante, donne vie à ces concepts des mille et une nuits, il aime retrouver son mari et ses enfants dans un quotidien clair, dénué de toute pollution visuelle, parsemé de leurs coups de cœur photographiques, de pièces de mobilier dessinées par leurs soins puis fabriquées sur mesure et d’un babyfoot qui donne le ton dès l’entrée d’une cette vie familiale tendre et joyeuse.
Lieu
Paris
texte
Elsa Cau
Photographies et Vidéos
Valerio Geraci
TSF
Antoine, Guillaume, qui êtes-vous ?
Antoine & Guillaume
Nous sommes un couple assez ordinaire, très différent l’un de l’autre et très complémentaire. Nous sommes surtout une famille maintenant, et nous aimons partager tous ensemble le gout des belles choses et alterner une vie parisienne ultra rythmée, et des moments de pauses dans notre maison de campagne et à la montagne (notre bulle d’oxygène).
TSF
Antoine, quel est votre parcours ?
Antoine
J'ai commencé à travailler à 16 ans chez Lucien Barrière, à la Baule, au bar. J'ai fait un master par la suite en management des entreprises de l'hospitality et du tourisme. Mais ma vie a surtout été rythmée par des expériences professionnelles et des rencontres. J'en ai fait de très belles, des rencontres, d'entrepreneurs, qui m'ont marqué, m'ont fait confiance et nous ont permis de grandir ensemble. Je note trois grandes rencontres : Isidore Partouche (surnommé le roi des casinos, ndlr), Alain Ducasse et bien sûr, Laurent de Gourcuff. Et puis moi-même, une facette entrepreneuse que je ne me connaissais pas, de 2010 et à 2016 lorsque j'avais mon cabinet d'audit et de conseil. J'ai eu ma boîte d'évènementiel aussi, mes restaurants. J'avais sans doute l'envie de me prouver que j'étais capable de monter des entreprises. En tant que consultant, j'ai pu accompagner plein d'entrepreneurs, d'hôteliers, de restaurateurs dans la création de leur projet et de les accompagner dans les ouvertures et dans la mise en place des lieux. Et de fait, rencontrer énormément d'architectes, de décorateurs et de designers. Puis, Laurent de Gourcuff m'a fait confiance pour mettre la création et l'expérience du client au coeur de l'organisation de son système. Laurent est un visionnaire qui a toujours eu les lieux comme point d'entrée dans son développement. Il voulait des lieux dingues, uniques, dans lesquels on ressente une émotion, soit à travers l'architecture, soit à travers la vue, la terrasse ou la localisation. J'ai apporté la partie "contenu" de ces projets : que met-on à l'intérieur de ce lieu qui est déjà fort, pour pouvoir y créer une histoire immersive, en faire un vrai lieu de destination et peut-être une icône, ce qu'on a réussi avec quelques-unes de nos marques...
TSF
Le travail prend une place très importante dans votre vie, il me semble.
Antoine
Je suis un obsédé du travail et un acharné du travail. Ç'a toujours été un point d'entrée qui est important dans ma vie. Un véritable leitmotiv.
TSF
Guillaume, quant à lui, a fait le choix d’être père et homme au foyer.
Antoine
Ce n’était pas un choix fait pour durer. Mais lorsque Marcel a eu deux ans, j’ai dû beaucoup travailler pour mes propres entreprises et il a décidé de m’offrir ce confort. Celui de pouvoir me concentrer à fond sur le boulot. Il s’avère que c’est un papou formidable et que je serais incapable de consacrer autant de temps et d’énergie à nos enfants. On a trouvé cet équilibre et on prend un plaisir fou à se manquer et à se retrouver régulièrement. Une vie de folie à cent à l’heure pour mon travail et un cocon familial dont Guillaume prend soin et dans lequel j’adore me ressourcer autant que possible.
TSF
Dans quel environnement avez-vous grandi et comment a-t-il influencé vos goûts ?
Antoine
J'ai grandi sur la côte ouest, avec une partie de ma famille en Loire-Atlantique et une partie dans le Morbihan, en Bretagne. J'ai toujours vécu dans des maisons face à l'Océan. J'ai été très inspiré par la maison de mon grand-père à l'Armor Plage, qui était complètement années 1970, avec du chêne très claires, très miel, les odeurs qui vont avec. Après, on n'est pas une famille avec un goût important pour l'art, ni pour la décoration ou le mobilier. Une appétence importante pour les jardins, en revanche. J'ai toujours vu ma mère jardiner. C'est ce que j'essaie de recréer en Normandie. Mais ce sont plutôt mes rencontres professionnelles qui m'ont ouvert les yeux sur le monde de l'art, de l'architecture, du design. Ce sont des découvertes tardives pour moi.
TSF
Votre intitulé de poste, c'est "Chief Creative Officer". Cela veut-il dire Directeur Artistique pour Paris Society ?
Antoine
Pour cet aspect-là, nous travaillons avec Cordelia de Castellane. En binôme étroit. Cela ne fait pas de moi un directeur artistique parce que mon poste intègre une vision opérationnelle et toute la partie développement de nos marques en France et à l'international. Cela intègre aussi bien des sujets comme le sponsoring, les partenariats, le retail, les arts de la table que l'on développe pour chaque lieu, On y ajoute cette question de créer une histoire dans un lieu pour la partie création, imaginer une expérience client pertinente selon le marché local qui va du décor à l'assiette en passant par la boisson et le service. C'est donc bien plus large qu'une direction artistique.
TSF
Comment ces lieux naissent-ils ?
Antoine
C'est assez unique, la manière dont on crée nos lieux. Tout commence par une histoire et par une narration. Je prends l'exemple de Gigi. Je dis souvent que Gigi n'est pas un restaurant, c'est le restaurant d'un Italien qui s'appelle Gigi, cet esthète milanais de 65 ans, fou d'art qui vit depuis 20 ans à Paris ! J'ai donc écrit 200 pages de l'histoire de Gigi, ce qu'il aime, où est-ce qu'il allait à la plage quand il était petit... C'est cette narration qui nous permet ensuite de créer un véritable univers. Mon job est après de mettre autour de la table les différents intervenants qui travaillent sur le projet : un architecte d'intérieur, un graphiste, Cordélia de Castelanne pour la direction artistique, un styliste, un chef, un direction de communication, un directeur d'entertainment pour la musique, un nez avec qui faire la signature olfactive, etc. Je leur raconte cette histoire puis je m'assure que chacun en fonction de leur domaine d'expertise, ils déploient la même histoire, pour que naisse quelque chose de parfaitement cohérent. Et c'est ce qui fait vraiment, selon moi, notre différence par rapport à d'autres groupes. Il y a plein d'autres groupes en hôtellerie, restauration qui se disent. Cela ne suffit pas, de travailler avec tel décorateur et de l'accoler sans lien spécifique à tel chef pour créer un restaurant. Il manque l'histoire que l'on veut raconter. Parfois, il n'y a pas de lien. Ça ne veut pas dire que ce n'est pas beau, ça ne veut pas dire que ce n'est pas bon, mais il n'y a pas de lien. Tu te demandes pourquoi la petite cuillère, elle est comme ça dans cette histoire-là, pourquoi le nom, pourquoi le branding, pourquoi le light design. Mon job, c'est de faire en sorte qu'il y ait une vraie narration que toutes les équipes, en phase projet puis opérationnelle, connaissent, comprennent et racontent dans leur métier.
TSF
Dans la droite lignée de la tradition des Costes. Vous considérez pourtant avoir apporté quelque chose de neuf dans l'industrie.
Antoine
Jean-Louis Costes est un ami que je respecte énormément dans le métier. Il m'a hébergé pendant trois ans à l'hôtel Costes ! Le groupe a apporté le design et l'importance du décor dans l'industrie. De notre côté, nous avons apporté une composante à 360° et notamment un étage à la fusée : l'entertainment. Mais on est dans cette même dynamique, oui, et on a participé ensemble et avec d'autres à changer le visage de l'hospitality à Paris. Il y a vingt ans, on se disait que pour voir des concepts sympas, il fallait aller à Londres ou à New York. Parce qu'à Paris, c'était très chef, gastronomie, bistro, brasserie. On a donc tous apporté ces visions nouvelles. Et parfois ranimé quelque chose d'existant : ce que nous avons fait avec Paris society pour Maxim's. L'essence du lieu était là, mais il fallait travailler sur la confusion laissée par le passage du temps. On a passé plusieurs centaines d'heures dans les archives pour regarder les typographies des menus d'avant. C'était une grosse brocante, Maxim's, quand on l'a repris, il y avait 25 modèles de chaises différents qui se baladaient ! On en a choisi une, on l'a faite reproduire à l'identique. Même chose pour les lampes de table. On a tout ré-électrifié, la lumière, c'était vraiment pleins phares (rires). Et quand les clients sont revenus, ils ont dit: "C'est cool, vous n'avez touché à rien." C'était l'objectif. Je ne crois pas trop aux révolutions. Maxim's, au début du XXᵉ siècle, c'était cette table mondaine, excentrique. On n'a rien inventé. On est en train de refaire ce qu'était ce restaurant y a 100 ans. Ce que Paris était il y a 100 ans.
TSF
Racontez-nous l'histoire de cet appartement.
Antoine
Nous avions deux critères : un appartement haussmannien typique et un quartier. On revenait dans Paris après avoir vécu à Puteaux ! Cela fait vingt ans que Guillaume et moi sommes ensemble, et dix ans que nous sommes mariés. On a vécu dans un Paris très festif et central, vers la Bourse. Ensuite, on a fait le choix du jardin, du chien et de l'enfant juste à côté de Paris. Mais contrairement à nos amis qui continuent de s'éloigner de la capitale, nous avions plutôt envie de la réintégrer. De connaître le Paris un peu plus familial ! Le 16e arrondissement s'y prêtait bien. On recherchait un vrai quartier, dans lequel s'inscrire puisque Marcel irait à l'école ici. Et puis on a trouvé cet appartement-là qui avait déjà été complètement refait à neuf. On est donc surtout intervenus côté mobilier dont on a dessiné une grosse partie, ce que je ne fais jamais dans les restaurants que l'on imagine pour Paris Society parce que je travaille avec des décorateurs et des designers pour tout !
TSF
Comment décririez-vous le style, chez vous ? On est surpris de ce côté très épuré, comparé aux lieux que l'on connaît et que vous avez participé à créer...
Antoine
C'est aussi une question de balance avec Guillaume. Moi, j'aime les univers très chargés. Guillaume, les univers beaucoup plus minimalistes. On a essayé de se retrouver à mi-chemin. Je suis peut-être dans le contrôle de ma vie professionnelle, mais le patron à la maison, c'est Guillaume (rires). Je le laisse donc naturellement dérouler ses envies. Pour ma part, je suis assez classique et surtout pas dans la tendance ni très moderne. D'ailleurs, on retrouve ce trait commun à nos projets. Ils sont difficilement datables, parce qu'on aime précisément les lieux qui vieillissent bien. Et pour cela, pas question d'être à la mode. Chez nous, ma passion des assises devenues de grands classiques se manifeste à travers nos fauteuils Platner en bouclette et les chaises Saarinen de la salle à manger.
TSF
Qu'avez-vous dessiné puis fait fabriquer vous-mêmes ?
Antoine
La grande console en chêne et en cannage blond, par exemple, qui est derrière le canapé. Toutes les lampes : les lampadaires, les appliques en laiton. Pour celles-ci, j'étais inspiré par la Maison Charles.
TSF
Parlez-nous d'une pièce que vous aimez particulièrement chez vous.
Antoine
Le canapé Diesel & Moroso. On voulait un appartement classique, haussmannien, mais qui ne soit pas un appartement de réception. On ne reçoit pas beaucoup à la maison, seulement notre cercle très proche. C'est vraiment notre lieu de vie de famille. Le canapé en est l'élément central ! On avait en tête une assise qui nous permettrait de faire de longues siestes en famille, de passer du temps tous ensemble les uns contre les autres le dimanche devant la cheminée, de se raconter nos vies, de boire un coup. Notre canapé mesure 1m40 de profondeur et 3m40 de long. Toute la famille passe beaucoup de temps dessus !
TSF
Vous concevez donc votre intérieur comme très intime, où vous recevez peu.
Antoine
Rarement. C'est notre cocon familial. Et puis, on aime beaucoup sortir. On passe plutôt notre vie dans les restaurants. Quand on est avec du monde, on ne sait pas trop se limiter, on sait difficilement recevoir un couple d'amis et faire un dîner à quatre ou à six. C'est vite une quinzaine de personnes (rires). Donc l'appartement ne s'y prête pas et on est souvent dehors. Ici, on se ressource et on vit entre nous, d'autant plus avec l'arrivée de la petite qui nous recentre d'autant un peu plus au sein de ce cocon.
TSF
Comment décririez-vous votre style ?
Antoine
Je ne sais pas si j'ai un style, le mien, mais je me suis amusé dans l'appartement. J'ai la chance de pouvoir m'éclater dans mon boulot et de travailler sur des histoires et des créations qui sont toutes complètement différentes. Gigi au style italien de la Riviera avec Hugo Toro, Bambini avec Friedman & Versace qui est une autre Italie, celle de Gabriella Crespi, des années 1970 colorées et folkloriques, Maison Revka au style assez "garciesque" (pour le décorateur Jacques Garcia, ndlr) avec Laleh Amir Assefi... Je m'amuse à explorer tous ces univers-là. Guillaume et moi, on possède aussi une maison de campagne qu'on a cherchée pendant 10 ans et achetée l'année dernière. C'est une ancienne manufacture de ruban fermée depuis 1840. On est sans doute partis pour une dizaine d'années de travaux, ce qui nous convient (rires). Je suis un fan des travaux. J'ai encore de quoi m'amuser !
TSF
L'arrivée des enfants a-t-elle changé votre vision des intérieurs ?
Antoine
Non. Au contraire, on a pris des fauteuils en bouclette couleur ivoire et un canapé clair, des tables en marbre pour bien se faire mal à la tête quand on tombe (rires). On a choisi d'éduquer les enfants à ça. Et c'est marrant parce qu'on se rend compte que Marcel commence à avoir un œil et une opinion en la matière. Je crois que c'est plutôt une chance pour eux, parfois une malchance pour certains objets qui volent, mais c'est la vie.
TSF
Et Marcel, justement, a-t-il eu son mot à dire dans la décoration de l'appartement ?
Antoine
Bien sûr, pour sa chambre, et globalement on essaie de l'investir dans tous les choix familiaux importants. Le choix du prénom de sa petite sœur, par exemple.
Je ne crois pas trop aux révolutions. Maxim’s, au début du XXᵉ siècle, c’était cette table mondaine, excentrique. On n’a rien inventé. On est en train de refaire ce qu’était ce restaurant y a 100 ans. Ce que Paris était il y a 100 ans.
TSF
Quelles sont les actualités de Paris Society : comptez-vous vous développer toujours plus ?
Antoine
Le développement de demain, il est à l'international pour nous. Sur les 20 lieux que Laurent de Gourcuff avait repérés à Paris, nous en comptons désormais 16 en notre possession. L'hôtel Salomon de Rothschild dans lequel nous venons d'ouvrir un restaurant, cela fait 8 ans qu'il travaillait le dossier. Début 2025, ou rouvre Minim's, juste à côté de Maxim's, qu'on nomme Bistrot Minim's. Mais le gros de notre expansion va se faire à l'international. C'était prévu : créer des marques avec un contenu fort pour qu'on puisse les exporter. On a une vingtaine de lieux à ouvrir en 2025 et 2026 avec Ennismore et en collaboration avec Rikas.
TSF
Quelles sont vos adresses du quartier favorites ?
Antoine
La pâtisserie Conticini (42 Rue de l'Annonciation, Paris XVIe), pour leur brioche au sucre ! Chez Dino (8 Chau. de la Muette, Paris XVIe), la cantine préférée de Marcel. Casa Lopez, car je suis fan de leurs motifs et des livres de Pierre. La Grande Epicerie (80 rue de Passy Paris XVIe) parce que c’est un émerveillement permanent. Le Théâtre de Passy (95 Rue de Passy, Paris XVIe) parce qu’il fait partie de la vie de quartier et que l’on adore y aller en semaine avec Guillaume.
TSF
Que pensez-vous de The Socialite Family ?
Antoine
J’adore The Socialite Family. J’aime cette communauté, ce regard sur l’esthétique des intérieurs. On y découvre des univers et des personnalités singulières. C’est à la fois intime et inspirant de rentrer dans le quotidien de ces familles, de découvrir et de partager des passions et des bonnes adresses.