Inspiration
Jogging Samena, Philosophie de l’humilité
S’extirpant de la roche immaculée bordant la mer Méditerranée, Jogging Samena s’échauffe sous le soleil marseillais. Ancien vestige du site industriel de Samena devenu par la suite cabanon, l’endroit se prête désormais à la location et à la résidence d’artistes. Longtemps laissé à l’abandon, ce qui fut une modeste résidence familiale a été réhabilité par Olivier Amsellem avec la volonté d’en conserver les différentes strates du temps. Acquis en 2015, en même temps que Jogging – concept-store dont le Marseillais est le cofondateur –, ce projet-là aura mis davantage d’années à s’esquisser. Cinq, précisément. « De réflexion et d’observation », confie cet enfant des HLM qui a dû pour l’occasion s’approprier la culture du cabanon. Élimée par les embruns, le mistral et tannée par le soleil, cette bâtisse est le conservatoire d’un passé méditerranéen à 50 mètres à peine de la cristalline calanque Samena. Ramenée à la vie à l’aide de matériaux « pauvres », pour la plupart déjà présents sur le site, tels que le bois, l’acier ou encore la terre cuite, cette adresse confidentielle navigue entre tradition et contemporanéité. Pour ce faire, le Phocéen a fait table rase de l’archaïque agencement de ce pavillon en prenant la décision de se délester de 10 m2 habitables afin de faire émerger deux patios. Un parti pris assumé, guidé par le désir de célébrer l’art de vivre en extérieur cher à la région qui l’a vu naître. Souhaitant avant tout « respecter le lieu » à sa juste valeur, l’entrepreneur a également tenu à conserver le dépouillement des murs défraîchis. Une humilité qui n’est pas sans nous rappeler l’Arte povera italien et que viennent ponctuer avec justesse des réalisations d’artistes, mais aussi de rares objets chinés qui ne perdent pas de vue la philosophie d’aménagement de ces habitats populaires, à savoir « ramener ce que l’on trouve et ce qui ne sert plus à rien à la ville ». Un retour aux sources brut et sincère, ô combien inspirant.
Jogging Samena, Boulevard de la Calanque de Samena – 13008 Marseille. Location à partir de 200 € la nuit (séjour de 2 nuits minimum). Service petit-déjeuner pour 25 € (2 personnes). Réservation sur le site internet www.joggingjogging.com.
texte
Juliette Bruneau
Photographies et Vidéos
Valerio Geraci
TSF
Olivier, nous vous retrouvons, ici, à Jogging Samena. Un des prolongements de l’univers que vous avez imaginé à Jogging, votre concept-store. Pouvez-vous nous présenter les lieux ?
Olivier
Samena, c’est l’expérience de comment réhabiliter une ruine. Quand j’ai acquis ce lieu, il était chargé d’une grande histoire familiale. Les dernières familles pauvres qui avaient la chance de jouir de ce bien se retrouvaient ici ensemble. Il y avait un comptoir avec un miroir immense, comme un bar en fait. Ça devait « envoyer les pastis » comme on dit chez nous ! Rien n’avait de sens, à tel point qu’en lui-même ce cabanon était une œuvre d’art. Je suis resté longtemps à l’observer dans son « jus », à méditer, ne sachant pas vraiment qu’en faire. Puis, un jour, le verdict est tombé : le toit plat était en mauvais état. Il fallait l’enlever, du coup, j’ai décidé de faire pareil avec tout le superflu qui avait été entassé là pendant des années. Une sorte de table rase des choses mais pas de l’histoire dont je me suis efforcé de garder soigneusement les strates. De l’avis des gens – et c’est le plus réjouissant –, l’endroit est chargé en émotions. Pendant deux ans, c’était pourtant une ruine sans toit qui prenait le vent et l’eau des embruns de la mer à quelques mètres. Il était déjà en quelque sorte comme son ancien propriétaire, qui y a vécu toute sa vie avant d’y mourir. C’est la première chose qui m’est venue à l’esprit. « Ce ne serait pas mal ici pour finir. » À cette époque, j’étais pauvre et ce lieu l’était autant que moi. Les débuts de Jogging étaient des années de galères, nous vivions de pas grand-chose. Cela peut choquer les gens, mais je ne me verse un salaire que depuis quatre mois. Avec les intempéries que j’évoquais plus haut, ce lieu s’est, pour ainsi dire, « lavé de son passé ». C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée de la réhabilitation de la ruine, mais pas n’importe comment. Je me suis documenté sur le site, la tradition et j’ai voulu respecter l’héritage de ceux qui avaient vécu là. De toutes ces générations de Marseillais. C’est aussi une aventure complètement nouvelle pour moi. Le cabanon ne faisait pas partie de ma culture. Étant un enfant des HLM, je n’ai jamais eu accès à ces structures et nous n’avions pas d’amis qui en possédaient. Pour vous dire la vérité, nous n’allions pas trop à la mer. J’ai dû apprendre à nager très tard. Je suis donc allé à la rencontre de quelque chose que je ne connaissais pas.
TSF
Comment cet endroit s’est-il imposé à vous ?
Olivier
Ça a été soudain. Je l’ai vu et j’ai dit ok sans même savoir comment je pourrais le faire. C’était une période de ma vie ou j’étais moins bien et plein d’interrogations. Peu de personnes le savent mais Samena, c’est 2015. La même année que Jogging finalement, mais il m’a fallu cinq ans de réflexion et d’observation. Je ne voulais pas me tromper.
Samena, c’est l’expérience de comment réhabiliter une ruine. Quand j’ai acquis ce lieu, il était chargé d’une grande histoire familiale.
TSF
Avec quelle envie/philosophie ?
Olivier
L’envie de l’humilité surtout, de la tradition et la philosophie de toujours respecter le lieu, l’histoire ainsi que l’héritage. Samena, c’est un site industriel. J’ai donc décidé d’y amener des matériaux aussi pauvres que lui comme du béton, de l’acier, de la terre cuite et du bois. « Pauvre mais solide », c’est ma philosophie.
TSF
De qui vous êtes-vous entouré pour penser l’expérience Jogging Samena ?
Olivier
Erika Blu et David Mijoba ont été l’an dernier les seuls cheffe et chef à proposer des dîners dont l’idée était d’inviter 20 personnes comme à la maison. Pour cela, il me fallait des gens solides qui me comprennent, des personnes qui connaissent la maison Jogging. Erika – qui a récemment tenu le showroom Jacquemus – est italienne comme ma famille. La première fois qu’elle a mis les pieds à Samena, elle a eu l’impression d’être chez elle en Italie. Pour David – le chef vénézuélien –, tout tournait autour du poisson et de la mer. Enfin, Christian Qui a aussi performé avec une bouillabaisse, le plat le plus pauvre de la culture méditerranéenne, est certainement celui qui s’identifie le mieux avec le site.
TSF
Vous parlez d’un travail « d’humilité » en lieu et place d’un travail d’architecture ou de décoration. Racontez-nous en quoi celui-ci a consisté.
Olivier
Cela consiste à respecter le pauvre, et à éliminer tout ce qui peut être de l’ordre de l’ornementation, de l’envahissement. Pour cela, j’ai renoncé à 15 m² pour donner plus de place à l’extérieur. Je peux me vanter d’avoir acheté 75 m² et d’en avoir aujourd’hui 60. Je dois être le seul dans la calanque.
TSF
Quels matériaux « pauvres » – déjà présents sur le site avez-vous utilisés pour réhabiliter le lieu ?
Olivier
Le bois, le béton, la brique : nul ne sait ce qu’était ce lieu avant. Peut-être une maison de surveillance du site industriel ? Bizarrement, avec un toit plat (assez rare pour l’époque), elle a été divisée en deux. Mes voisins ont préféré se payer le luxe de la soupente avec la chambre dans les combles et le velux qui donne sur la mer quand vous sortez la tête ! Mes proches m’ont encouragé à faire un toit terrasse mais j’avais trop de respect pour le lieu. Il fallait imaginer un escalier, réduire le jardin… et tout ça pour quoi ? Se retrouver à 4 m de haut avec les voisins dans le dos pour voir le coucher du soleil et la mer ? Ce n’était pas l’histoire alors j’ai tranché et j’ai dit : « Ceux qui voudront voir la mer monteront sur la butte en face à 10 m du cabanon ! »
Je me suis documenté sur le site, la tradition et j’ai voulu respecter l’héritage de ceux qui avaient vécu là. De toutes ces générations de Marseillais.
TSF
Vous aimez chiner où que vous alliez. Quelles sont les trouvailles que nous pouvons découvrir ici ?
Olivier
Un mélange de rustique et de moderne, de contemporain et d’ancien. Je n’ai pas perdu de vue que l’aménagement d’un cabanon, c’est avant tout ramener ce que l’on trouve et ce qui ne sert plus à rien à la ville. J’ai donc procédé de la même façon – sauf que c’est aussi une résidence d’artiste ! Vous avez donc un lampadaire en métal torsadé de Thomas Mailaender, mais aussi une création contemporaine de Marina Bautier pour le dressing en chêne dans la chambre. Sinon, nous retrouvons Enzo Mari, Vico Magistretti, des lampes d’atelier Gras, un fauteuil de bureau de René-Jean Caillette, une table bureau Tolix et la signature mystique d’une vierge Marie sans mains chinée à Avignon, témoin de tout ce qui se passe ici-bas.
TSF
En plus d’être proposée à la location, cette maison se mue en résidence pour les artistes étant amenés à développer, produire et exposer avec Jogging. Pourquoi l’art est-il si important pour vous, votre concept ?
Olivier
Le champ des possibles. Il n’a jamais été question pour moi d’avoir une chambre d’hôtel ou pire, un Airbnb ! Les artistes sont capables de donner une dimension aux choses, et si la matière est là et qu’elle peut leur donner un élan, une inspiration, alors c’est magnifique.
TSF
Avez-vous pensé à d’autres manières d’animer cet endroit ?
Olivier
Nous faisons déjà pas mal de propositions avec Jogging, et nous comptons bien donner encore plus de profondeur à nos projets ! Mais nous allons le garder pour nous si vous le voulez bien (Rires). Nous étions une des premières résidences installées sur ce territoire depuis 2015, nous voulons garder encore un peu de mystère.
TSF
Après le concept-store, l’épicerie et le cabanon, quelles autres ramifications pourriez-vous imaginer à Jogging pour continuer à en explorer toutes les facettes ?
Olivier
Nous sommes comblés avec ce que nous avons, mais il reste encore tout à faire et à créer ! Il faudra d’autres moyens, d’autres territoires, d’autres histoires à raconter.