Inspiration
Tuba, le temps des copains
Du rêve à la réalité, il n’y a qu’un pas ! Tuba en est le parfait exemple. Un rêve d’enfants, celui de Greg Gassa et de Fabrice Denizot, devenu celui d’adultes : un cabanon de pêcheurs mû en un lieu de retraite festif où se retrouver entre amis. Pour ce premier projet commun, les deux natifs de la cité phocéenne ont eu l’opportunité irréelle d’investir un bâtiment à quelques encablures du village des Goudes. Un club de plongée quelque peu fatigué ayant par le passé vu trinquer Jacques Mayol et Albert Falco, dont le duo s’est empressé de confier la réhabilitation à leur complice de toujours, l’architecte d’intérieur et designer Marion Mailaender. Des mains expertes, venues se mêler à une imagination et une énergie folles. Une vision commune, celle de la simplicité, confirmée par une géographie singulière et une nature sauvage empreintes d’histoire. Le renouveau rêvé pour ce bâtiment vétuste. Désormais transformé en un restaurant et un bar immaculés, et doté de quelques chambres façon cabines de bateau, Tuba incarne à lui seul l’essence de l’esprit estival. Une adresse portée par une atmosphère libre et joyeuse qui reprend les codes du Marseille de l’enfance de ses fondateurs – celui des années 1980-1990 –, mais aussi ceux de leurs copains et de leurs familles, tour à tour venus à leur manière apporter leur pierre à l’édifice. Delphine André, architecte DPLG, Emmanuelle Luciani et les artistes du Pavillon Southway, Thomas Mailaender (mari de), Laëtitia Toulouse et l’agence Mews : autant de bonnes fées s’étant penchées sur Tuba, ses pièces chinées et ses murs à la chaux qui s’intègrent idéalement aux paysages environnants. Un point – le respect de l’environnement – auquel les deux fondateurs tiennent plus que tout. Car si Tuba allie plaisir gustatif et visuel, l’écoresponsabilité, elle, n’est pas en reste grâce au rapport fusionnel qu’entretiennent les garçons avec la mer. Une cause qui leur est chère et pour laquelle ils n’hésitent pas à mouiller le maillot afin de sensibiliser au maximum leurs clients.
Tuba – Cabanons et restaurant. 2, boulevard Alexandre Delabre – 13008 Marseille. Réservation par téléphone au 09 66 95 13 16 du lundi au mercredi de 9h à 17h et de 19h à 21h. Du jeudi au vendredi de 12h à 14h30 et de 19h à 21h30. Le week-end de 12h à 15h et de 19h à 21h.
texte
Caroline Balvay
Photographies et Vidéos
Valerio Geraci
TSF
Marion, Fabrice, Greg : pouvez-vous vous présenter ?
Marion
Je suis Marion Mailaender, architecte d’intérieur et designer. Née à Marseille, je suis partie à Paris pour faire l’école Boulle et j’y suis restée pour monter mon agence il y a presque 15 ans.
Fabrice
Je suis Fabrice Denizot, producteur de cinéma et cofondateur de Tuba. Je ne sais pas si j’arriverai à être aussi bref que Marion ! Né à Aubagne, je suis parti en Australie à l’âge de 8 ans avec mes parents. Au gré des voyages, j’ai développé une attirance incoercible pour le voyage, l’aventure et les rencontres. Enfant unique, je me suis souvent plongé dans le cinéma. Un passe-temps qui est devenu passion ! Après avoir raté de peu le concours de la Fémis, Manou – ma petite amie de l’époque et épouse d’aujourd’hui – m’a présenté mon mentor, Hubert Herr, un seigneur de la distribution de films US. Grâce à lui, j’ai gagné dix ans. Il m’a choisi pour lui succéder et m’a formé. À 25 ans, je suis devenu directeur régional des studios Universal, Paramount, MGM et Dreamworks. J’ai gravi les échelons pour terminer ma carrière chez Paramount Pictures France en tant que directeur de la distribution, également responsable des coproductions. Après vingt ans d’exil, l’envie m’est venue de m’installer à nouveau dans le Sud et de devenir producteur indépendant. L’hôtellerie, d’après ce que je peux aujourd’hui en dire malgré ma très courte expérience, c’est un peu comme la production d’un film : on trouve le sujet (le lieu), le réal (l’archi), la star principale (l’archi d’intérieur) et puis toutes les équipes techniques. Et le projet prend vie, à partir d’une page blanche !
Greg
Je suis Greg Gassa, entrepreneur et cofondateur de Tuba. Né à Marseille, j’ai fait l’école hôtelière de Lausanne et j’ai ensuite bourlingué entre l’Asie, les États-Unis, Paris puis Londres pendant une vingtaine d’années. Durant cette période, j’ai navigué entre la mode – avec la création de la marque Unity – et la restauration avant de revenir à Marseille en 2015 et de créer différents restaurants que j’ai tous revendus en 2019 pour me consacrer au lancement de Tuba.
TSF
Comment deux copains qui souhaitaient collaborer depuis longtemps ensemble arrivent-ils à concrétiser cette envie ?
Fabrice
Greg et moi, nous nous connaissons depuis longtemps, mais nous nous sommes rapprochés par l’intermédiaire de Marion et Thomas Mailaender. Pour en venir à la genèse de l’aventure Tuba, j’ai toujours eu envie d’avoir un lieu « à moi ». Même un petit bar pour se retrouver avec nos amis. Un lieu simple, authentique, cool. Ça me titillait. J’en ai parlé à Greg et même à d’autres copains. Le seul mot d’ordre, c’était la proximité avec la mer. Elle m’avait trop manqué. Je voulais la voir tous les jours. La mer, à Marseille, c’est d’abord cette promesse de nature sauvage, mais c’est aussi la nostalgie de l’enfance, le paradis perdu. La contemplation. Un sentiment d’éternité. Quand on m’a parlé de ce bâtiment à vendre à l’entrée du village des Goudes, j’en ai immédiatement parlé à Greg qui a réagi au quart de tour. Il m’a dit banco. Le spot était tellement dingue. On s’est dit : « Même si ça ne marche pas, on le garde pour nous. »
Greg
Assez facilement, en fait, le spot a été le déclencheur. Une vision commune, l’envie de faire un lieu de fou et nous avons foncé !
TSF
L’idée d’un « cabanon de potes » s’est-elle directement imposée à vous ?
Fabrice
Nous avions surtout imaginé quelque chose d’estival, de blanc. Puis j’ai donné les contraintes « techniques » liées à l’extrême exposition aux éléments et c’est Marion qui a aiguillé le projet vers la culture locale, le cabanon de calanque. Elle a toujours la volonté de respecter l’histoire des lieux.
Marion
L’esprit cabanon s’est imposé par la géographie du lieu, sur un rocher, à côté d’autres cabanons. Nous avons observé l’architecture autour de nous pour nous en inspirer et y poser un regard moderne. J’ai toujours été passionnée par le vernaculaire, l’architecture sans architecte, avec ses loupés, ses bizarreries qui font tout le charme d’un endroit.
Greg
Tuba devait avant tout s’inscrire dans l’histoire des Goudes et l’histoire de ce club de plongée. Le talent de Marion, allié à notre vision artistique et à notre énergie, a fait le reste.
TSF
De quelle manière vous êtes-vous réparti les rôles au sein de Tuba ?
Fabrice
Je dis souvent : « J’ai fait naître Tuba et Greg le fait vivre. » J’ai trouvé le lieu, géré les travaux, et Greg s’occupe de l’opérationnel. Même si la réalité est un peu différente ! Il y a de la porosité à tous les étages. Tuba, c’est un immense travail d’équipe, un mélange d’énergies. Au niveau de la décoration et de la direction artistique, nous avons décidé de donner une totale carte blanche à Marion Mailaender ! Le naming « Tuba », par exemple, c’est elle. Elle supervise aussi le graphisme, en lien avec les équipes de Flirt Studio. Je donne sans cesse mon avis sur l’opérationnel, en jouant au client ultra-exigeant. Delphine André, architecte DPLG, a été un formidable soutien pour Marion. Emmanuelle Luciani et son équipe du Southway Studio ont œuvré sur la fresque d’entrée et quelques autres détails de décoration. Thomas Mailaender nous a aussi beaucoup aidés, et il est aujourd’hui responsable de la résidence d’artistes – en plus de nous donner souvent son ressenti sur la carte ! Mon épouse Manou s’occupe de tout ce qui touche au bien-être et aux cours de yoga. Et n’oublions pas les équipes de Mews et Laëtitia Toulouse en tête, qui ont géré le lancement d’une main de maître.
Greg
Les rôles se sont naturellement répartis car chacun a des compétences bien précises. J’ai réalisé un travail durant l’hiver avec ma collaboratrice Zoé pour effectuer le meilleur recrutement possible pour cette saison, j’ai donné la ligne directrice en cuisine en travaillant avec le chef Antoine Teychené, aux côtés d’artisans et de producteurs locaux. Tout ce travail préparatoire nous a permis d’affirmer encore plus fortement la personnalité de Tuba.
TSF
Amis, famille, artisans : qui vous a accompagnés tout au long de la réalisation de ce projet ?
Marion
Tout le monde a joué le jeu et s’est investi dans le projet. Les artisans ont été super. Arriver à monter un tel projet en plein confinement était un exploit ! Dix jours avant l’ouverture, nous étions 24 h/24 sur place. Les copains venaient aider à visser les tables, planter le romarin, certains nous apportaient à diner. Nous étions épuisés mais c’était une super-ambiance !
Fabrice
C’est exactement ça. Nous avons tout fait en famille !
TSF
Qu’avez-vous conservé de cet ancien centre de plongée ?
Marion
L’ancien centre de plongée était quasiment abandonné et très abîmé par les tempêtes. L’architecte Delphine André nous a aidés à ouvrir des vues vers la mer, tout en respectant le littoral. Elle a mené ça d’une main de maître, car c’est très difficile d’installer ce type d’établissement dans le parc national des Calanques. Ce qui reste, c’est surtout la vue et l’escalier à l’arrivée qui « plonge » littéralement dans Tuba. (Rires)
Fabrice
Tuba est le fruit architectural de sa proximité avec les éléments. Une réflexion découlant d’une expérience acquise après quelques années à vivre dans cet environnement rude. Il fallait éviter à tout prix la ferraille, qui rouille instantanément, l’enduit, qui fond comme neige au soleil, etc. Par empirisme, nous avions compris que les seuls trucs qui tiennent, ici, sont le minéral ou l’inox. Chez Tuba, nous sommes comme sur un bateau. Sauf que quand nous prenons des vagues de 4 mètres (par grosse tempête), il est impossible de rentrer au port ! C’est l’un des bâtiments marseillais les plus proches de la mer. Il a suffi que nous regardions autour de nous pour trouver ce qui semblait résister le mieux : le mur qui surplombe le port, des pierres, du béton. Et les barques en bois peintes en blanc, qui sont dans l’eau depuis 70 ans ! C’est ainsi qu’est né le « code matériau » de Tuba. Des pierres locales couleur calanques et du bardage en bois peint en blanc. Sinon, nous avons insisté comme des fous pour conserver le bar en l’état. Et nous avons réussi ! C’est sur celui-ci que Jacques Mayol a trinqué avec Albert Falco. Les tables d’hôtes aussi, ce sont celles de l’ancien club de plongée. Nous avons aussi gardé un véritable tuba en caoutchouc (tout sec) des années 1970. Le genre à vous bousiller les gencives ! Il trône fièrement sur le comptoir. Nous avons aussi souhaité conserver l’activité de plongée, qui sera structurée pour le début de cet été.
TSF
Marion, comment vous êtes-vous réapproprié cette histoire et cet esprit oscillant entre simplicité et authenticité dans la décoration ?
Marion
Déjà le nom, Tuba, s’est imposé au début du projet et a donné le ton. Comme je le disais, j’adore observer autour du lieu avant de dessiner des choses. Et l’esprit cabanon, je le connais bien puisque j’ai grandi à Marseille. J’ai réactivé tous mes souvenirs d’enfance : manger des glaces au comptoir en canisse, marcher pieds nus sur la pierre fraîche, descendre à l’échelle dans les rochers pour se baigner, etc. Nous avions tous les trois une vraie volonté de simplicité. Nous avons utilisé le plus de matières naturelles possible, comme les murs à la chaux que nous avons achetés à la dernière entreprise qui en fait dans la région – au pied de la Gineste – ou les plinthes en corde naturelle que j’avais pu observer dans les cabanons de Sormiou. Et puis, nous avons essayé d’acheter le moins de choses possible pour la décoration. Nous avons chiné, repeint, réparé pas mal de choses. Et nous avons travaillé avec des artistes et artisans locaux comme Emmanuelle Luciani de Southway Studio. Je me souviens qu’au début, j’avais dit « on fait un truc super simple, on se douche au tuyau jaune pour rincer les combinaisons de plongée » et c’est Fabrice qui s’est battu avec le plombier pour arriver à le faire dans les salles de bains.
TSF
Vous avez également créé certains éléments avec votre mari, l’artiste Thomas Mailaender. Dites-nous en plus !
Marion
Pendant le confinement, nous étions dans les Alpes et nous avions du temps. Nous avons donc fabriqué et sculpté les tables du petit salon en y gravant des palmes, des poulpes… Nous avons aussi chiné depuis la montagne toutes les lampes et pas mal d’objets de décoration. Thomas a trouvé des archives entières d’autocollants vintage sur le thème de la mer et de la plongée. Ils sont aujourd’hui collés sur la double porte du bar. Nous avons aussi créé pour l’occasion ma marque de vaisselle upcyclée, 04.9. Nous faisons des collages d’images sur des assiettes chinées dans un esprit pop et décalé.
TSF
Le Marseille des années 1980-1990 mais aussi l’esthétique de ces époques se retrouvent par petites touches de la salle de restauration aux espaces nuit. Pourquoi ?
Marion
Parce que c’est toute notre enfance. La photo de Jean-Pierre Papin ou le livre Comment fabriquer sa propre planche à voile_,_ je les ai eus dans ma chambre. Et puis aussi parce que c’est drôle, décalé, encore une fois.
TSF
La vue sur la Méditerranée est imprenable. Quel est votre rapport à la mer, et surtout comment y sensibilisez-vous vos clients au quotidien ?
Fabrice
J’ai personnellement un rapport fusionnel avec la mer… Un besoin compulsif de m’y plonger tous les jours, et de me confronter à sa force brute. L’été dernier, j’ai rallié la Corse depuis St-Tropez en planche à voile. Un vieux rêve. Un seul bord. La folie. L’hiver, avec mon groupe d’amis nageurs, nous sautons depuis la calanque dans l’eau glacée, nos combis sur le dos, et nous nageons jusqu’à la Maronaise ou la baie des Singes. À force de nager dans les calanques, nous sommes devenus les témoins impuissants de la pollution sous-marine croissante. Et nous avons décidé d’agir concrètement. Nous proposons aux clients qui vont nager de les équiper d’un trash-bag pour ramasser les déchets qui flottent. S’ils rapportent cinq déchets, nous leur offrons un drink. C’est notre manière d’inciter les gens à prendre soin de la mer. À plus grande échelle, nous organisons des ramassages de déchets sur terre et en mer, dans les Goudes et ses environs. En mai, grâce à l’aide de quelques partenaires comme Levantin, Cafés Luciani, Pernod Ricard et Ludo Savariello, et surtout grâce à la mobilisation d’une cinquantaine d’amis, nous avons collecté pas moins de 500 kilos de déchets sur une superficie de 1000 m² environ. C’est assez effrayant. Ça nous donne une idée de l’ampleur du travail qu’il reste à effectuer, à la fois en termes d’actions et de sensibilisation.
Greg
Nous avons mis en place une charte écoresponsable propre à Tuba, à la fois pour les travaux, la cuisine, le bar, et les clients. Cette charte est fièrement placardée dans chaque chambre et nos guests sont gentiment invités à y adhérer !
TSF
En plus d’avoir cinq chambres, Tuba est aussi un bar et un restaurant. Que retrouvons-nous sur votre carte ?
Greg
Des produits du bassin méditerranéen en majorité. Nous avons voulu une cuisine accessible, lisible et surtout de grande qualité : les huiles d’olive de Cédric Casanova qui sont selon nous les meilleures, le loup bio du Frioul, les légumes de la plateforme paysanne. Le tout est twisté par notre équipe de folie en cuisine.
TSF
Tuba est une destination estivale incontournable mais comment la faites-vous vivre l’autre moitié de l’année ?
Greg
Ce n’est pas une hibernation mais nous procédons l’hiver à une sorte de mise en veille de Tuba. De 90 couverts par service en 7 sur 7, nous passons à 40 couverts 3,5 jours par semaine ! C’est le moment pour nous de tester les nouveaux fournisseurs, de faire des essais en cuisine, de mettre les équipes au repos et de profiter de Tuba d’une façon totalement différente, à l’effervescence de l’été. Nous profiterons cette année de cette saison pour développer notre activité de privatisation et d’événements professionnels, retraites de yoga, shootings ou encore tournages.
Tuba est le fruit architectural de sa proximité avec les éléments. Une réflexion découlant d’une expérience acquise après quelques années à vivre dans cet environnement rude.