Inspiration
Babel, « inspiré du bout du monde et de la rue d’à côté »
« Sens » synthétise Joris Bruneel, hôtelier, quand on lui demande de définir son projet le plus personnel en un mot. « Babel, c’est un voyage de tous les sens. Mais c’est aussi un lieu de vie engagé, qui doit avoir un sens, tourné vers l’humain et vers le monde d’après ! » Plus qu’une énième nouvelle adresse, cet établissement, ouvert avec la cheffe Clarie Feral-Akram, est une déclaration d’amour à Belleville. À ses valeurs, sa diversité, son engagement. L’exact reflet de ce que le duo a réussi à transposer dans ce lieu de vie « à la fois hôtel, restaurant et bar à cocktails », au visuel évoquant l’ailleurs signé Daphné Desjeux. De cette aventure en « bande organisée », le trio est intarissable. Obsessionnel même. Nous expliquant à quel point Babel se devait de s’inscrire dans le quartier, mais surtout d’en être un acteur. En collaborant avec des associations, en mettant ses habitants au premier plan, mais aussi en valorisant ses producteurs. De fait, pour « voyager dans l’assiette et à travers la décoration » sans perdre de vue les abords du 3, rue Lemon, chaque détail a été minutieusement pensé. Ne laissant place à aucune comparaison possible avec un autre endroit ! L’architecte d’intérieur confirme : « Avec Babel, nous abordons un format qui ne regarde pas la tendance, ni les autres réalisations. C’est une hôtellerie de cœur et de passion centrée sur l’humain dans sa diversité, sa singularité, sa liberté. » Afin de retranscrire au mieux cet esprit – que l’on retrouve en cuisine grâce à la pluralité des profils qui la compose –, l’Atelier Daphné Desjeux a fait se rencontrer des inspirations elles aussi issues des quatre coins du monde. Matières, couleurs, finitions, accrochages : tout a été méticuleusement sélectionné afin de rendre hommage aux différentes cultures et communautés présentes dans ce bout de XXe arrondissement. Un melting-pot que l’on retrouve forcément dans l’assiette, influencée par la route de la soie et ses multiples épices qui subliment des spécialités iraniennes, syriennes, turques ou encore indiennes. Un dépaysement, oui, mais pas vraiment non plus. Après tout, tout était déjà là. Sous nos yeux. Car Babel est « inspiré du bout du monde et de la rue d’à côté ».
Babel, 3 rue Lemon – 75020 Paris. Hôtel, 31 chambres à partir de 120€. Réservation sur www.babel-hotels.com. Restaurant, ouvert tous les jours sauf le lundi. Ouverture : de 12h à 14h30 (15h le weekend) et de 19h à 22h30 (23h le weekend). Brunch le dimanche. Bar à cocktails tous les soirs (sauf lundi).
texte
Caroline Balvay
Photographies et Vidéos
Louise Conesa
TSF
Joris, Clarie, Daphné : pouvez-vous vous présenter ?
Joris
Avec plaisir ! J’ai 42 ans, je suis marié et papa de deux petites filles de 6 et 8 ans. Fils d’hôteliers installés dans le Sud de la France, je m’étais juré que je ne ferais jamais ce métier… Résultat des courses : je suis aujourd’hui président du groupe MyHotels, que j’ai créé en 2013, à la tête de 18 établissements dont 5 à Paris. L’Hôtel Babel est mon dernier projet, beaucoup plus personnel, intimiste et situé dans un quartier qui me tient beaucoup à cœur : Belleville.
Clarie
Je m’appelle Clarie, je suis cheffe de cuisine, franco-afghane. Après avoir fait mes classes à l’école Ferrandi, j’ai ouvert un restaurant à Kaboul où j’ai rencontré l’épouse de Joris, qui est reporter de guerre. Le voyage nous a rassemblées et liées ! À mon retour en France, j’ai ouvert mon restaurant en Normandie sur la plage, près de Deauville, le Key West ainsi qu’une épicerie fine/boutique de producteurs 100% normands à Trouville Les Toqués du terroir.
Daphné
Je suis Daphné, fondatrice de l’Atelier Daphné Desjeux. Après avoir cosigné une dizaine d’hôtels dont La Planque, Le Tribe et le Bob, je viens de finaliser mon travail pour l’hôtel-restaurant Babel. Ici, je me définirais plus comme une créatrice de lieux, des lieux qui inspirent le voyage, une humeur, une envie.
TSF
Quel rôle occupez-vous respectivement chez Babel ?
Joris
Cela faisait plusieurs années que j’avais Babel en tête, que je rêvais d’un lieu de vie à l’image de mes valeurs et de ma définition de l’hospitalité. J’ai donc écrit l’histoire de Babel, défini les contours du concept. Daphné lui a esthétiquement donné vie et Clarie le fait vivre en nous faisant voyager gustativement… Car Babel, c’est une belle aventure en bande organisée !
Clarie
Je suis l’associée de Joris sur le projet de Babel. Je me suis occupée de toute la partie restauration, à savoir la conception de la carte, le choix des recettes, le recrutement des chefs et équipes, le sourcing des fournisseurs, jusqu’au choix des assiettes !
Daphné
Ici, je suis responsable de tout ce qui se voit ! (Rires)
TSF
Pourquoi avoir décidé de vous associer autour de ce projet ?
Joris
Nous avions déjà travaillé ensemble avec Daphné, sur un de mes hôtels parisiens. J’aime ses inspirations multiples, son souci du détail qui fait toute la différence et sa cohérence globale et esthétique du projet. Nous avons établi une relation de confiance et une écoute mutuelle au service de ce concept fort qu’est Babel. Clarie est une amie et une cheffe talentueuse. Elle incarne naturellement toutes les valeurs de Babel qui sont les nôtres : l’ouverture d’esprit, la diversité, la générosité, la simplicité, le partage… et puis, à part elle, je ne connais personne qui a tenu un restaurant à Kaboul.
Clarie
Des valeurs solidaires, écoresponsables et une envie de partager notre vision de la restauration !
Dpahné
Tout d’abord, j’apprécie beaucoup Joris avec qui j’avais déjà travaillé. Il m’a présenté son projet qui allait bien au-delà du décor. Babel, c’est une vision à 360 degrés avec une grande cohérence autour du voyage et de l’humain. C’est un projet singulier et cela m’a plu. Aussi, je suis très admirative du travail de Clarie en cuisine, qui est tellement inspirée et inspirante. Un voyage gustatif qui vaut vraiment le détour !
Avec Babel, nous abordons un format qui ne regarde pas la tendance, ni ce qui existe déjà. C’est une hôtellerie de cœur et de passion centrée sur l’humain dans sa diversité, sa singularité, sa liberté
TSF
Pouvez-vous nous présenter cet établissement ?
Joris
Babel est un lieu de vie, à la fois hôtel (31 chambres), restaurant (80 places assises à l’intérieur et 30 en terrasse) et bar à cocktails. Il est situé en plein cœur de Belleville, un quartier authentique, multiculturel, engagé. Nous avons rêvé d’un lieu qui serait à la fois le reflet de nos valeurs et de celles de tout un quartier ; d’une maison pour tous, un sanctuaire qui aurait du sens et donnerait la force de croire encore au vivre-ensemble. Notre philosophie ? Voyager dans l’assiette et à travers la décoration. J’aime beaucoup cette phrase qui résume parfaitement Babel : « inspiré du bout du monde et de la rue d’à côté ». Nous utilisons des produits en circuit court et avons recours à des partenariats avec des associations locales, avec le souhait de participer à la transition écologique. Tout en créant du lien avec le quartier et ses habitants. Babel est un état d’esprit, un lieu engagé. Nous avons par exemple une « chambre suspendue », mise à disposition toute l’année pour des associations du quartier afin d’apporter une solution temporaire d’hébergement face à des situations d’urgence. L’essentiel étant que Babel reste un lieu où l’on se sent bien et où l’on va pour se faire plaisir !
Clarie
Joris a presque tout dit ! Chez Babel, et dans les cuisines, nous travaillons exclusivement des produits de saison, en circuit court et en collaboration avec de nombreuses associations.
Daphné
Avec Babel, nous abordons un format qui ne regarde pas la tendance, ni les autres réalisations. C’est une hôtellerie de cœur et de passion centrée sur l’humain dans sa diversité, sa singularité, sa liberté. J’ai essayé de retranscrire cela dans la décoration, avec de nombreuses influences issues des quatre coins du monde.
TSF
De quelle manière s’intègre-t-il au quartier de Belleville, où il est situé ?
Joris
Pour moi, c’est quasiment devenu obsessionnel : Babel doit d’inscrire dans Belleville, en être à la fois le reflet et un acteur ! Nous avons noué de vrais partenariats avec plusieurs associations de quartier dont l’école du chef Thierry Marx, Cuisine Mode d’emploi(s), ainsi que le Refugee Food Festival dont est issu notre chef Haitham Karajay. Ces deux structures permettent à un public en réinsertion ou en situation de demande d’asile de se former aux métiers de la cuisine. Babel collabore également avec des associations locales et la Mairie du XXe arrondissement, qui valorisent la qualité de vie du quartier, la lutte contre l’isolement et la participation des habitant·e·s à la vie locale. Enfin, Babel offre une scène et une lumière toutes particulières aux producteurs, aux artistes et aux trésors enfouis de l’arrondissement. Le café provient de la Brûlerie de Jourdain, les bières sont brassées à Paris chez Fauve ou à deux pas, aux Bières de Belleville, les thés et infusions sont de chez Kodama, les spiritueux de la Distillerie de Paris, le pain et les viennoiseries de chez Sain et les fruits sont soigneusement choisis à l’épicerie Zingam, juste en face. Les habitant·e·s ont été ciblé·e·s prioritairement pour le recrutement. Babel souhaite également promouvoir des artistes locaux, en collaborant par exemple avec la galerie des Temps Donnés ou les artistes 13bis et Juliette Seban ; chacune ayant réalisé une œuvre. Venez prendre l’ascenseur ou allez aux toilettes du restaurant, vous verrez, c’est un voyage en soi ! Les clients de l’hôtel et les curieux ont également accès à un guide de Belleville concocté par l’équipe sur place. Ce dernier regorge de bonnes adresses et de bons plans et suggère des expériences purement bellevilloises comme le parcours de découverte de street art ou une visite des ateliers d’artistes…
Clarie
Comme l’a dit Joris, nous avons essayé au maximum de nous rapprocher des acteurs locaux, que ce soit pour les produits, via le recrutement de notre personnel – notre chef Sofiane est un enfant de Belleville ! – ou encore via la curation des artistes et des galeries d’art qui ont contribué à ce projet.
TSF
Comment cette localisation a-t-elle influencé sa philosophie « Voyager dans l’assiette et à travers la décoration » ?
Joris
J’habite à cinq minutes de l’hôtel ! Je suis dans le quartier depuis près de dix ans. Je m’y sens bien, c’est authentique, vivant, on croise le monde entier ici. C’est un environnement ouvert et engagé. Je voulais absolument être à cet endroit car Babel ne pouvait pas être ailleurs qu’à Belleville. Je voulais qu’on y voyage comme on voyage à Belleville !
Clarie
Le quartier de Belleville est un véritable melting-pot ! Les épiceries asiatiques et du Moyen-Orient côtoient les cafés tunisiens, les restaurants thaïlandais, tout comme les caves à vin nature et les bistrots traditionnels. Il fallait rassembler de manière cohérente, et en une seule place, toutes ces influences, créer un trait d’union dans ce « bazar organisé » qu’est Belleville. Pour la carte, très rapidement, la route de la soie est apparue comme une évidence.
Daphné
L’idée était de créer un lieu à l’image de « bras ouvert sur le monde », de tenter de faire des clins d’œil aux différentes cultures et communautés. Tout cela via les matières, les couleurs, les accrochages choisis.
TSF
De quels acteurs vous êtes-vous entourés pour donner vie à cette ligne directrice ?
Daphné
Des artisans les plus talentueux ! Je pense notamment à Rosatelier, fondé par Justine Rossetti et Simon Carloni, qui ont fait toutes les patines des chambres et du rez-de-chaussée, mais aussi à La Fibule qui a réalisé toutes les banquettes du rez-de-chaussée, à Mmono Lighting pour les appliques des couloirs. C’est un projet riche de près de 120 fournisseurs !
TSF
Daphné, quelles ont été vos inspirations pour donner vie à ce décor suggérant la mixité, la rencontre et l’invitation au voyage ?
Daphné
Je souhaitais qu’on ne sache ni à quelle époque on se situe, ni à quelle heure du jour où de la nuit nous sommes ! Pour cela, j’ai tenté de gommer tout ce qui est « fonctionnel » pour un hôtel. Afin de laisser opérer le charme, j’ai éteint toutes les couleurs. Pour les chambres : les hautes têtes de lit en tissu crème, avec leurs passepoils tricolores et coiffées de deux grandes liseuses en fibres naturelles, ont été dessinées pour évoquer le travail de l’artisanat. Le tissu fait penser à une grande couverture berbère où l’on sent le travail de la main de l’homme. Les murs ont été patinés dans trois teintes différentes par Rosatelier : de l’ocre, du bleu-vert et du terracotta avec des nuances visibles selon la localisation, la lumière, l’heure de la journée. Comme si le soleil avait fané leurs pigments. La vasque est inspirée de l’Orient-Express, avec des courbes bien sûr, au cas où les secousses liées à la vitesse vous chahutent. Le travail du bois sur la porte des toilettes a été guidé par l’inspiration d’une porte d’église découverte dans les Cyclades en Grèce. Pour la moquette, j’ai souhaité un tapis d’Afrique du Nord irrégulier et artisanal. Enfin, une petite collection d’objets anciens venant d’Inde est disséminée sur les murs, comme des trouvailles de brocantes du bout du monde.
TSF
Comment avez-vous réussi à brouiller les pistes en donnant l’impression que cette adresse porte en elle un vécu alors qu’elle vient à peine d’ouvrir ses portes ?
Daphné
J’ai cherché l’imperfection partout ! Par exemple à travers les luminaires : des appliques dessinées pour l’hôtel, en terre cuite, très imparfaites avec des ailettes assez irrégulières qui diffusent une lumière douce. J’ai aussi créé les miroirs, ceux de plain-pied et celui de la vasque, avec cet effet piqué, qui donne le sentiment qu’ils ont été patinés par le temps. Au rez-de-chaussée, dans le restaurant et le lobby, j’ai chiné un sol en vieilles tomettes et j’ai fait rajouter des poutres au plafond. Voilà le secret de tout ce cachet signé Babel !
TSF
On retrouve quelques accessoires – notamment des coussins – de la collection The Socialite Family. Comment vous ont-ils séduits ?
Daphné
Je suis une fidèle lectrice et fan de la première heure de The Socialite Family ! Le mobilier et les dernières collections sont très inspirantes, dans l’air du temps – mon air du temps et celui de ce projet. Les coussins convenaient donc parfaitement au décor auquel j’avais pensé !
TSF
Clarie, qui retrouvons-nous dans les cuisines de Babel ?
Clarie
Actuellement – et pour huit mois –, c’est un chef résident syrien, Haitham Karajay, qui est derrière les fourneaux et qui a participé au Refugee Food Festival ces trois dernières années. En cuisine, notre cheffe de partie est turque, un de nos commis afghan – envoyé par les Cuistots migrateurs – une autre est une jeune fille en réinsertion formée par Cuisine Mode d’emploi(s) (l’école de cuisine de Thierry Marx, située dans le XXe) et notre chef bellevillois, Sofiane, est d’origine algérienne. Nous sommes déjà en train de réfléchir au prochain chef résident, peut-être turc ou géorgien.
TSF
Autour de quelles influences culinaires ?
Clarie
Nous avons choisi la route de la soie ! À savoir un mélange d’épices, d’influences indiennes, iraniennes, turques ou encore syriennes. Nous ne voulions pas créer un énième restaurant de cuisine levantine, mais avions plutôt envie de faire découvrir de nouveaux plats à nos clients comme le fameux riz tadhig, que l’on peut retrouver en Iran et en Afghanistan.
TSF
Si vous deviez décrire Babel en un mot, quel serait-il ?
Joris
Un mot, c’est dur évidemment. Mais je dirais « sens » ! Babel, c’est un voyage de tous les sens et c’est aussi un lieu de vie engagé, qui doit avoir un sens, tourné vers l’humain et vers le monde d’après !
L’idée était de créer un lieu à l’image de « bras ouvert sur le monde », de tenter de faire des clins d’œil aux différentes cultures et communautés. Tout cela via les matières, les couleurs, les accrochages choisis.