Familles
Elle s’est essayée à tout. À 34 ans, Pénélope Bagieu s’apprête à sortir son troisième long récit : Culottées. Quinze portraits de femmes pas comme les autres, qui ont bravé la pression sociale de leur époque pour mener la vie de leur choix.
Chez
Pénélope Bagieu, la culottée
Un projet qui lui est venu à l’idée grâce à sa passion des biographies et qui lui a permis, en les réalisant, de se libérer d’une sorte d’obsession monomaniaque. En racontant ces histoires, l’auteure, dessinatrice, réalisatrice – la liste est longue – s’est aussi fixé un défi. Celui de correspondre au format court (trois à six pages par personnage, pas plus), imposé par le blog du site du Monde, auquel sont destinées, à l’origine, ses chroniques. Un réel exercice de style qui demande une approche synthétique qu’elle a fini par totalement appréhender. Son écriture comme cheval de bataille. Le découpage millimétré en guise de tempo à son rythme. Piano piano donc. Même si Pénélope travaille à flux tendu, à raison d’un portrait par semaine. Audacieux, libérés, drôles et (souvent) touchants, ses dessins nous inspirent et nous poussent à la découverte. Nous forcent à l’interrogation. Une mise en bouche réussie pour cette première série. Culottées connaîtra une suite, déjà visible en exclusivité sur le Monde chaque lundi, en 2017. Cette fois-ci, ce sera au tour d’héroïnes contemporaines. Un travail de fond – et de forme ! – qu’elle met en application depuis ses bureaux new-yorkais. C’est dans cette ville hyperactive qu’elle a décidé d’emménager en 2015 pour finir un énième livre. Désormais, c’est de son aventure à elle dont on parle. Un roman qui n’est pas près de se terminer et dont elle nous dévoile les grandes lignes en exclusivité. Culottée on vous dit.
Lieu
New York
Photographies et Vidéos
Constance Gennari
TSF
Pénélope, peux-tu nous expliquer comment tu es arrivée ici, à New-York ?
Penelope
En fait c’est un peu parti d’un "pourquoi pas ?". Je peux bosser de n’importe où (du moment qu’il y a un wifi), je n’avais jamais vraiment quitté Paris, et puis j’avais une BD qui sortait aux Etats Unis pour la première fois (Cadavre exquis), donc je me suis dit que c’était l’occasion de faire une petite parenthèse à l’étranger, même si c’était de courte durée. On verra bien au bout de combien de temps j’en ai marre !
TSF
Qu'est-ce que cette ville représente pour toi ?
Penelope
Quand j’étais petite, avant de vouloir être dessinatrice, ma mère m’a dit que je déclarais que je voulais devenir "Reine d’Amérique" (en toute simplicité). Donc j’imagine que ça reste un peu un rêve d’enfant (même si je ne suis toujours pas reine).
TSF
Pourquoi avoir choisi ce quartier ?
Penelope
Si je dis comment je l’ai découvert, ça va paraître absurde : dans un épisode du "Cauchemar en cuisine" américain, de Gordon Ramsey. Il allait dans un pizzeria archi-crado (où d’ailleurs un client faisait un malaise tellement c’était dégueu). Mais bref, comme toujours, ils filmaient un peu le quartier alentour, et je me souviens avoir trouvé que tout était très joli : de la brique, des escaliers de service, des stores de toutes les couleurs, des jolis cafés… Et du coup, quand j’ai commencé à me pencher plus sérieusement sur la question, j’ai aussi découvert que Park Slope était classé par les New-Yorkais comme le quartier le plus agréable à vivre de leur ville.
TSF
Qu'est-ce qui change quand on est artiste et qu'on passe de la France aux US ?
Je ne sais pas comment c’est pour les autres, mais pour moi, cette "sortie de ma zone de confort" a été très bénéfique. Bien sûr, c’est plus dur parce que le pays est immense, qu’il faut tout recommencer et que les habitudes de boulot sont un peu différentes. Mais le mythe du "Can do" est totalement fondé : on peut réellement démarrer des choses sur un coup de tête, les gens sont prêts à suivre, à écouter, peu importe d’où on vient et qui on est. C’est très stimulant.
TSF
Ce pays est-il une de tes sources d'inspirations ? D'ailleurs, quelles sont-elles ?
Pénélope
La BD américaine m’inspire beaucoup, j’adore en lire. Le travail de Jaime Hernandez sur la vie des jeunes femmes américaines, la vision de New York d’Alex Robinson, l’humour de Roz Chast, ou de Julia Wertz. Et c’est vrai que quand on vit dans cette ville, on a un peu le syndrome "Friends" : l’impression très naturelle d’évidence, et de "je connais déjà cet endroit sans y avoir jamais mis les pieds". New York est une ville qui est familière, on la connaît déjà par cœur en arrivant (alors qu’en fait, pas du tout.)
TSF
Tu es très engagée, est-ce que ton prochain livre le sera aussi ?
Pénélope
Je ne sais pas si je suis "très engagée", je ne fais rien de concrètement courageux, je ne suis pas sur le Rainbow Warrior. Mais c’est sûr que j’ai du mal à parler dans mes livres d’autre chose que des choses qui me touchent, et donc de celles qui me révoltent, aussi. Dans mes deux albums des Culottées, j’essaie de mettre à l’honneur des personnages que j’admire, de la petite et la grande Histoire, mais qui sont invisibilisés : les femmes. De toutes les époques et de tous les milieux. Des sirènes, des cosmonautes, des actrices et des rappeuses. J’espère que ça inspirera de nombreuses femmes.
TSF
Quels sont tes futurs projets ?
Pénélope
Je rêve d’un road trip dans le sud des États Unis, à mettre en parallèle avec celui de Francis Scott et Zelda Fitzgerald. Je pense que ça se prête très bien à une longue BD.
TSF
Et dans ton intérieur ?
Pénélope
Les contraintes pour mon appart étaient : je ne veux rien apporter de France (à part une vingtaine de BD que je traîne comme des doudous), je ne sais pas combien de temps je vais rester, et je veux pouvoir tout abandonner en partant. Du coup, une déco provisoire, c’est l’occasion de se permettre des audaces (parce qu’on sait qu’on n’aura pas le temps de s’en lasser), et de se moquer un petit peu de la qualité. Je me suis donc fait une déco "routes du sud" (décidément) à base de vieux miroirs, de grandes photos du désert et de suspensions avec des fleurs sèches. Je balancerai sûrement tout sur le trottoir dans un mois ou dans un an, alors c’est le moment ou jamais de tenter des trucs !
TSF
As-tu réalisé toi-même la déco de ton appartement ?
Pénélope
Ah oui, non, je n’en suis pas au stade où quelqu’un me fait ma déco !
TSF
Où achètes-tu tes meubles ?
Pénélope
Aux États-Unis j’ai vraiment du mal à trouver le circuit parallèle dans lequel il existe un équivalent d’Habitat. En revanche j’ai trouvé une galaxie entière de gros meubles rustiques moches. Du coup, ma formule a été une grosse moitié de Ikea (pas le même catalogue, en plus !), un peu de Urban Outfitters, et beaucoup de Craiglist (il y a des décorateurs qui proposent une curation, des sélections de choses qu’ils ont repérées) - car oui, j’avais beaucoup de temps à perdre.
TSF
D'ailleurs, on en a tous qui nous suivent partout, au gré des déménagements. Est-ce le cas pour toi aussi ?
Pénélope
Mon premier canapé, que j’avais acheté beaucoup trop cher par rapport à ce que je gagnais à l’époque, quand j’ai commencé à travailler. Il est assez inconfortable, beaucoup trop grand, très fragile et ne va pas avec grand-chose. Mais ça reste mon trophée, et personne ne le virera de chez moi. Il m’attend sagement dans un garde-meuble à Paris. Je pourrais presque me faire enterrer avec, s’il n’était pas aussi grand.
TSF
Dans quel endroit aimes-tu t'installer pour travailler ?
Dans mon (magnifique) atelier partagé à Brooklyn. Du côté des canapés (et de la balançoire !) pour toute la partie qui demande du silence et de la concentration (quand je dois lire et écrire), et du côté de mon bureau avec mon ordinateur pour dessiner (et de la musique très forte). Avec un siège ergonomique, sur lequel je suis dans une espèce de position à moitié à genoux. Depuis que je l’ai adopté il y a des années, je n’ai plus jamais eu mal au dos ou aux épaules. Je le recommande !
TSF
Quel est ton processus de création ?
Pénélope
J’ai une idée. J'en deviens complètement surexcitée et obsessionnelle pendant quelques jours. Je me relève même la nuit pour noter des détails ! Et après, une fois que j’ai tout bien noté et que c’est figé pour de bon, je commence la longue autoroute tranquille du dessin, pendant des mois, ou des années, et je ne reviens plus jamais en arrière.
TSF
Que rêverais-tu de posséder ?
Pénélope
Un jardin ! Mais qui s’entretiendrait tout seul.
TSF
Et de faire, pendant que tu es aux États-Unis ?
Pénélope
Aller visiter les grands parcs nationaux de la côte ouest. Et puis, même si je n’en rêve pas, ça commence de plus en plus à sembler nécessaire à la majorité de mes rêves américains : passer mon permis (ce à quoi je rechigne depuis mes 18 ans).
TSF
Quelques-unes de tes adresses préférées à New-York, pour nous faire voyager ?
Pénélope
The Smile, un super joli resto aménagé dans un renfoncement comme un bar de la prohibition, où on dîne très bien et on s’entend parler. Trailer Park, une boutique de déco vintage près de chez moi qui ne vend que du mobilier et des accessoires des années 50, y compris des petits flacons médicaux et des objets de tourisme hyper datés. Et enfin, Desert Island, une librairie de BD indé à Williamsburg, qui est vraiment devenue une institution.