Familles
Laboratoire de goût et d'idées : la seconde jeunesse d'une maison de famille normande
Chez
Alice Roca et Lital, Ange-Lino 11, Aliocha 5 ans, Simona 2 mois
Alice Roca a la faculté de faire ressentir les choses. Avec elle, la cuisine n’est pas juste de la nourriture. Mais un moyen d’imaginer tous les jours une occasion de créer et de penser. Préparer à manger devient alors une façon de s’exprimer, de s’émouvoir. De partager surtout ! À travers Alice In Food, son blog, l’Ex-Parisienne distille sa passion avec ferveur. Le mot est juste, alléchant. Il prête à l’imagination. Développé d’autant plus activement depuis leur emménagement en 2016 dans la maison d’enfance de Lital, sa compagne, son projet n’a de cesse de s’étoffer. Workshops, événements culinaires… en plus de sa newsletter hebdomadaire – un condensé d’idées gourmandes, de conseils et de recommandations avisés pour gourmets ou simples curieux – Alice ne manque pas d’idées et a à cœur de s’engager. Depuis quatre ans déjà, l’heureuse famille agit à son échelle. Comment ? En changeant de vie. Avec son installation dans la campagne normande, le couple souhaitait voir grandir ses trois enfants, se rapprocher de la nature et gérer son rythme de travail tout en changeant sa consommation. Un choix éprouvé. Complètement épanouies dans leurs activités free-lance respectives – Alice est styliste, Lital a un poste dans les télécoms –, les deux mamans viennent d’accueillir la petite Simona, tout juste 2 mois lors de notre visite. Le fruit d’un amour qui n’a de cesse de grandir, à l’image de la quinzaine d’arbres fruitiers et du potager de la famille qui vise l’autosuffisance. « Un long chemin », selon la gastronome, qui ajoutera ensuite aimer ce rapport au temps avec la nature. « Ce n’est pas donné tout de suite, il faut observer, attendre… ». Virée champêtre (et raisonnée) dans une bâtisse de caractère illuminée et modernisée par les ajouts inspirés de ses nouveaux habitants, où la cuisine, en tant que pièce à vivre, tient le rôle principal et les plantes, celui de colocataires heureuses de côtoyer une jungle. Loin d’être urbaine, celle-là !
Lieu
Normandie
texte
Caroline Balvay
Photographies et Vidéos
Valerio Geraci
TSF
Alice, Lital : pouvez-vous vous présenter ?
Alice
J’ai grandi à Toulouse et je suis venue à Paris pour faire mes études de stylisme à l’École Duperré. J’y ai vécu et travaillé longtemps en tant que styliste de mode pour des marques de prêt-à-porter haut de gamme, métier que j’exerce aujourd’hui en free-lance depuis ma Normandie. Lital travaille aussi en indépendante dans les télécoms, elle est née dans cette maison et, comme moi, est partie à Paris pour faire l’école du Celsa afin de travailler dans la communication.
TSF
Racontez-nous votre changement de vie. Le passage de la ville à la campagne normande. Quel a été votre déclic ?
Alice
L’idée a germé quand la mère de Lital a mis en vente cette maison dans laquelle nous venions passer nos week-ends. Lital n’envisageait pas la vie à Paris avec les enfants. C’est vrai qu’avec elle, j’ai découvert l’idée et le bonheur de sortir de Paris plus souvent tout en profitant de la nature. La maison n’avait pas encore trouvé d’acheteur et un dimanche soir dans la voiture sur le retour vers Paris, après un magnifique week-end d’été passé dans celle-ci, Lital m’a dit : « C’est nous qui allons l’acheter. » Il nous a fallu du temps pour prendre la décision. Nous avons même envisagé d’en faire une maison et table d’hôtes pour oser franchir le pas. Un an avant de signer, nous avons planté nos premiers arbres fruitiers dans le jardin. Comme une promesse de s’enraciner ici !
TSF
Lital, quelle est l’histoire qui vous lie à cette maison ?
Lital
Mes parents l’ont achetée un an avant ma naissance. J’y ai passé les dix-sept premières années de ma vie. Après douze ans à Paris, alors que ce n’était pas du tout prémédité, ce n’était pas bizarre de m’y installer de nouveau. Cette fois, en tant que parent, c’est très différent. Avec Alice, on s’est vite réapproprié la maison. Presque toutes les pièces ont changé, mais ce qui reste, surtout, c’est la formidable énergie qui règne ici et qui ne laisse personne indifférent.
TSF
Comment l’avez-vous aménagée pour vous et vos trois enfants ?
Alice
Nous avons épuré, allégé, mis des couleurs. J’ai enlevé pas mal de portes (de placards mais aussi entre les pièces) pour aérer et ouvrir les espaces, recouvert la chaux grattée grise très terne par un enduit blanc lumineux. Nous avons agrandi le salon pour en faire une pièce généreuse. Nous avons transformé à petits moyens la cuisine qui était très rustique, en peignant en kaki foncé. À l’étage, il y a « notre aile » avec nos chambres, où nous avons mis de la couleur et du parquet, mais aussi « l’aile des invités » que nous n’avons pas encore rénovée et où vient d’emménager notre adolescent suite à la naissance de Simona. Comme je le disais plus haut, nous avons vite planté des arbres fruitiers (en quatre ans, une quinzaine !) Nous avons enrichi les massifs de fleurs existantes (ma belle-mère avait la main verte) et en avons créé d’autres. Et puis il y a le potager, que l’on veut déjà agrandir ainsi qu’une butte de permaculture. Le jardin est un espace qu’on investit beaucoup. Nous sommes tout le temps en train de l’enrichir au gré de nos coups de cœur. Nous avons même créé un poulailler partagé avec deux autres familles du hameau pour avoir des œufs frais !
TSF
Quel est l’esprit que vous souhaitiez rendre dans celle-ci ?
Alice
Simple, chaleureux, vivant. Pas trop rustique même si on n’y échappe pas totalement ! J’aime les éléments contemporains. C’est un heureux mélange de choses contemporaines, d’objets chinés, d’œuvres d’art de nos amis… et d’énormément de plantes ! J’en ai beaucoup que je multiplie et que je bouture. Chaque matin, j’en fais le tour. Je regarde comment elles se portent, ce qui a poussé, quelle fleur s’est ouverte… C’est un émerveillement de chaque jour ! J’aime l’écho renvoyé par ce spectacle au jardin qui lui fait face.
TSF
Quatre ans après votre arrivée ici, quels changements avez-vous notés dans votre quotidien ?
Alice
Notre choix de vie ici est intimement lié à l’envie de voir grandir nos enfants, à nous rapprocher de la nature et à gérer notre rythme de travail. J’ai toujours rêvé de travailler en free-lance et ce choix de vie m’a donné le courage de le réaliser. On se sent beaucoup plus connectées à la terre et au ciel. Les saisons ont une importance capitale et rythment nos vies. Le jardin nous appelle différemment en automne ou au printemps, et je suis plus sensible aux cycles de la lune. Niveau consommation, nous avons le plaisir de goûter notre propre production ! Mais nous avons aussi le loisir de pouvoir visiter les jardins de tous les producteurs locaux chez lesquels nous nous fournissons. J’étais déjà sensible à la saisonnalité des produits à Paris (d’ailleurs, je faisais déjà mon marché le samedi à Verneuil quand je venais le week-end), mais, ici,– c’est encore plus fort et plus évident. J’ai aussi rapidement tissé des liens très forts avec mon boulanger bio qui est devenu un ami. C’est à lui que je dois mon premier levain, il m’a donné plein de conseils ! Pareil pour mon voisin, ancien agriculteur, qui m’aide au potager et partage son savoir. Cette année, pour la première fois, nous avons fait du cidre avec lui !
TSF
Cette nouvelle vie a-t-elle favorisée le lancement (et le développement) de votre blog, Alice In Food ?
Alice
Oui ! Déjà, le fait de travailler à la maison me permet de faire des choses qui demandent une présence (comme entretenir mes levains ou mon kefir), organiser mes récoltes (fruits, légumes, fleurs, graines) et faire mes transformations : plats, bouquets, conserves, confitures… À Paris, je cuisinais principalement après le travail, tard le soir. Ici, je fais toujours de la « cuisine de nuit », mais j’ai le confort de pouvoir aussi travailler en journée à ma cuisine et dans mon jardin, puis de me mettre à mon activité de styliste le soir. Du coup, j’ai pu enrichir mon blog. L’idée est de partager, grâce à lui, mes recettes familiales mais aussi du quotidien – souvent végétales – ainsi que mes idées « green » que je pratique. Je puise mon inspiration dans ce qui m’entoure, à savoir les fleurs, les plantes sauvages, la campagne. Chaque année, je découvre de nouvelles plantes, de nouveaux endroits. J’aime ce rapport au temps avec la nature. Ce n’est pas donné tout de suite, il faut observer, attendre…
TSF
D’où vous vient cette passion viscérale pour la nourriture ? Vos enfants y sont-ils sensibles à leur tour ?
Alice
Ma mère a toujours tout fait maison et c’était très bon. Donc, j’ai cette culture depuis « toujours » mais je ne sais pas ce qui s’est passé pour que j’accroche à ce point-là avec cette discipline. Du plus loin que je me souvienne, c’est vrai que j’ai toujours adoré manger et préparer à manger. Deux anecdotes me viennent : petite, je détestais qu’on me serve les plats des enfants. Je voulais toujours goûter aux plats des adultes ! J’ai aussi une sorte de « mémoire culinaire » qui impressionne toujours Lital : quand je me remémore un lieu ou une rencontre, je me rappelle toujours ce que j’ai mangé. C’est un peu comme les vêtements, je me souviens toujours de ce que les gens ont porté ! C’est une sorte de bibliothèque de mes goûts. Je puise dans tout ce que j’ai goûté tout au long de ma vie et surtout, j’ai une curiosité culinaire insatiable qui va du salé au sucré, du tradi français au plus exotique des mets. Mes enfants aiment manger. Petits, ils ont toujours goûté facilement de tout. Ils étaient de ceux qui se réjouissaient de manger des épinards ou des courgettes au grand étonnement de certains amis. En hiver, ils mangent toutes sortes de choux trois fois par semaine sans se plaindre ! Mon fils cadet m’aide d’ailleurs souvent au jardin, il a fait son potager, il y a planté des fleurs et des légumes et il sait les reconnaître ! C’est essentiel pour moi de leur transmettre ce goût. Mon aîné – très bec sucré – peut me réclamer des produits industriels qu’il dit préférer aux miens. Mais c’est juste un peu de provoc, car dans mon dos je l’entends vanter les mérites de ma pâte à tartiner maison !
TSF
Quels sont les livres de recettes que vous nous conseillez de lire absolument ?
Alice
Le livre de la cuisine juive de Claudia Roden, un grand classique indispensable. La cuillère d’argent chez Phaidon qui présente les bases de la cuisine italienne avec des recettes très simples. De Yotam Ottolenghi, Plenty (pour n’en citer qu’un). A Modern Way to Cook d’Anna Jones ; c’est le seul de cette autrice végétarienne traduit en français mais son dernier The Modern Cook’s Year est génial aussi ! Enfin, Faites votre pâtisserie de Lenôtre (un vieux livre de référence) et toute la collection de l’Épure dix façons de préparer, à chaque fois un ingrédient et dix recettes.
TSF
Le produit que vous aimez le plus travailler ?
Alice
Les farines, il en existe tant ! Avec un peu d’eau et du sel on peut déjà faire mille recettes de pains.
TSF
Comment voyez-vous le futur ici ?
Alice
J’ai envie d’agrandir mon potager et de viser l’autosuffisance en légumes (un long chemin), de continuer à aménager et à rénover la maison, notamment la petite dépendance que nous possédons et que je souhaiterais transformer en atelier. J’ai aussi des projets pour partager et transmettre mes passions dès la rentrée avec des workshops à la maison pour échanger sur la cuisine et ses multitudes de techniques ! Et puis créer des dîners ou des événements culinaires. Je voudrais aussi, à mon échelle, pouvoir m’engager pour apprendre aux enfants à découvrir les goûts et les bons aliments.
TSF
Alice, une recette d’été à faire en famille en exclusivité pour les lecteurs de The Socialite Family ?
Alice
Avec joie ! Voici la recette du Banoffee revisité à ma façon. C’est très sympa à faire avec les enfants. Je l’ai fait ce week-end et tout le monde y a succombé ! Pour le préparer, il vous faudra deux heures si vous faites vous-même votre caramel. Sinon, le reste se prépare en vingt minutes. Je vous conseille de le faire refroidir deux heures minimum ! Pour 6 à 8 personnes, il vous faut : 1 paquet de « digestives biscuits » au rayon anglo-saxon de votre supermarché (des sablés iront aussi en ajoutant une pincée de sel), 4 bananes, un jus de citron, 1 boîte de lait concentré sucré ou de la confiture de lait, 50 g de beurre demi-sel, 200 g de chocolat au lait de bonne qualité, 30 cl de crème fleurette bien froide et 50 g de noix de pécan. J’aime bien faire ce gâteau la veille et le jour même, j’ajoute juste la crème fouettée. Pour faire le caramel : percez un petit trou dans la boîte de lait concentré sucré, posez-la dans une casserole d’eau frémissante et laissez bouillir pendant deux heures, vous obtiendrez cette fameuse confiture de lait ou « dulce de leche ». Vous pouvez sauter cette étape en achetant déjà la confiture de lait toute prête. Préchauffez votre four à 180 °C. Disposez vos noix de pécan pendant le préchauffage afin qu’elles torréfient. Écrasez les biscuits grossièrement avec un pilon dans un grand saladier. Faites fondre le beurre, mélangez-le aux biscuits et pressez ce mélange au fond d’un moule amovible de diamètre 24 ou 25 cm ou dans des cercles individuels. Placez dix minutes au four pour que ça blondisse. N’oubliez pas de sortir les noix de pécan dès qu’elles ont une coloration. Laissez refroidir. Coupez les bananes en rondelles et placez-les au fur et à mesure dans un saladier avec le jus de citron ; c’est pour éviter qu’elles ne noircissent. Disposez-les sur le fond de tarte. Faites fondre le chocolat en pastilles ou en morceaux au bain-marie. Répartissez une couche de caramel sur les bananes, là, chacun met la dose qu’il souhaite ; j’en mets le moins possible, environ la moitié de la boîte, car je trouve que c’est hypersucré mais ça apporte une vraie touche qu’on ne peut pas retirer. Puis faites couler le chocolat sur le caramel, ajoutez les noix de pécan torréfiées hachées grossièrement (gardez une poignée pour la déco), et laissez refroidir puis durcir au frigo au moins deux heures ou une nuit. Juste avant de servir, fouettez la crème fleurette sans ajout de sucre (tout le reste en contient bien assez), étalez-la sur le gâteau, saupoudrez d’un peu de cacao et de noix de pécan hachées torréfiées. Retirez le cercle amovible pour servir.
Avec Alice, on s’est vite réapproprié la maison. Presque toutes les pièces ont changé, mais ce qui reste, surtout, c’est la formidable énergie qui règne ici et qui ne laisse personne indifférent.