Familles

Comme une cabane douce, lumineuse mais radicale, perchée en haut d'un immeuble aux accents modernistes

haddou-dufourcq

Chez

Kim Haddou et Florent Dufourcq

De la lumière en hiver ! Chez le duo d’architectes d’intérieur Kim Haddou et Florent Dufourcq, le ton est donné. Larges aplats clairs et minéraux, grands miroirs et autres matériaux réfléchissants, beaux bois et objets d’affection, sans oublier une moquette spectaculairement immaculée, clin d’œil aux décennies 1960 et 1970 et à un certain mode de vie. On se souvient d’eux en 2018, lauréats du Grand Prix du jury Van Cleef & Arpels pendant la Design Parade de Toulon. Depuis, les jeunes diplômés – promotion 2015 – de l’École Camondo ont pris en assurance. Et en ampleur. The Socialite Family les a rencontrés chez eux, dans cette cabane perchée aux accents modernistes, entièrement revue par leurs soins et où, selon leurs mots, ils reposent leurs yeux.

Lieu

Paris

texte

Elsa Cau

Photographies et Vidéos

Jeanne Perrotte

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TSF

Kim, Florent, présentez-vous.

Kim

J’ai 32 ans, je suis architecte d’intérieur, je vis et je travaille avec Florent depuis 2018.

Florent

J’ai 35 ans. Je suis aussi architecte d’intérieur. Nous vivons et travaillons à Paris.

TSF

Quel est votre parcours ?

Florent

Nous nous sommes rencontrés à l’École Camondo où nous étions étudiants en architecture. Nous sommes issus de la promotion 2015 (tout comme Clément Daventure, du duo Orsini Daventure, ndlr). À la sortie de l’école, nous avons tous deux travaillé en agence, mais, très vite, l’idée nous est venue de collaborer de manière un peu plus structurée et professionnelle. Kim est partie à Londres, dans une agence où elle a beaucoup travaillé le retail (l’architecture intérieure de points de vente, ndlr), puis elle est revenue à Paris où elle est entrée chez Charlotte Perelman. De mon côté, j’ai travaillé chez Starck.

TSF

Qu’avez-vous retenu de ces expériences ?

Florent

Je voulais faire des hôtels : c’était un rêve de gosse ! Starck était l’agence idéale pour s’y frotter. Et très formatrice : il s’agit de projets à grande échelle notamment destinés à l’hôtellerie, qui sont donc relativement importants en termes de taille et de budget, avec la quantité de chambres, énormément d’intervenants, un grand besoin de précision technique. Parce que, à cette échelle, l’approximation n’est pas permise.

TSF

Qu’est-ce qui vous a décidés à vous associer ?

Kim

Nous avons eu l’opportunité de notre premier projet ensemble. C’était pour la Design Parade à Toulon, en 2018. On a livré un petit salon de lecture, pensé comme une bibliothèque troglodyte qui s’appelait Grotto. On avait imaginé tout un mur habité de niches. Plus largement, à l’école, on a commencé à travailler ensemble sur quelques projets ; les affinités professionnelles se créent, certaines manières de travailler s’accordent : tout cela se perçoit déjà dès les études. Forcément, quand on trouve un bon partenaire de boulot, on a envie de continuer avec lui.

Florent

On se faisait déjà confiance. Que ce soit à l’école ou après, c’est difficile d’être seul en étant totalement sûr de soi quand on soumet un projet. À deux, on est plus forts et on fait confiance au regard de l’autre, à sa vision, à son goût.

Florent Dufourcq

S'il y a un domaine dans lequel nous ne sommes toujours pas d'accord, c’est celui des abat-jours. Kim déteste les abat-jours !

haddou-dufourcq

Pour la cuisine en inox, le duo a choisi de créer un ensemble "mobile" : chaque élément est sur pied et peut se déplacer.

TSF

Comment travaillez-vous ensemble au quotidien ? Êtes-vous complémentaires ?

Kim

Florent a souvent la première idée, la première impulsion du processus de création. En général, il va trop loin et j’essaie de calmer le jeu (rires). Le ping-pong s’engage, on dialogue, on voit ce qui est réalisable, on enrichit mutuellement le projet, je le retaille un peu. La question des proportions, les volumes, aussi, ça me plaît.

Florent

C’est vrai que j’en fais un peu trop, parfois. Notre échange permet toujours de trouver cette justesse dans les projets.

Kim

On se dit souvent que, lorsqu’on réussit à se mettre d’accord, c’est que le projet est juste.

TSF

Quel est le style Haddou-Dufourcq ?

Kim

Je ne pense pas que l’on se cantonne à un seul style, un seul goût. Tout dépend du projet du client, du lieu en lui-même. On peut imaginer des ambiances sobres, minimalistes, comme celle de notre appartement, assez épuré, mais on peut aussi faire exploser les couleurs, jouer sur les matières, comme c’était par exemple le cas pour Hermès à Saint-Tropez. Peut-être n’avons-nous pas vraiment de style prédéfini : ce qui nous convient ! On n’a pas envie de faire tout le temps la même chose, de reproduire.

Florent

En revanche, on attache une importance particulière au dessin. Le dessin, c’est aussi le moyen d’avoir une réflexion sur l’espace, le volume, la façon, comment les pièces s’enchaînent, la circulation, la lumière, comment gérer les problématiques techniques. Ces réflexions ne se voient pas forcément dans le projet livré, mais elles existent !

Kim

Je dirais aussi que l’on attache une importance particulière au choix des matériaux. À Saint-Tropez, par exemple, la couleur est venue par la matière : on a travaillé sur de la terre cuite de Salernes.

Florent

C’est vrai ! On essaie toujours de trouver des matières qui soient justes, qui vibrent et qui puissent nous amener la colorimétrie qui va animer un peu les espaces sur lesquels on travaille.

Kim

J’ajouterais qu’il nous importe de réussir à faire des lieux perçus comme intemporels. Notre plus grande crainte, c’est de se dire : ce projet date d’il y a trois ans, on n’en veut plus. Qu’il porte trop la marque de son temps.

Florent

Il ne faut d’ailleurs pas oublier que la temporalité est maîtresse de nos projets… Les échéances sont parfois difficilement maîtrisables. Même si l’on fournit tous les efforts du monde pour qu’un chantier soit terminé le plus rapidement possible, il reste les impondérables ! Quand on fait une boutique, en six mois, le projet sort : il y a une espèce d’instantanéité. Alors que travailler sur un projet d’hôtel par exemple, c’est beaucoup plus long. Il y a des choses qu’on dessine trois ans plus tôt. Tout cela est à prendre en compte dans la justesse du projet.

TSF

J’ai l’impression que la jeune génération d’architectes d’intérieur travaille beaucoup – à nouveau – avec le dessin, plus qu’avec la 3D.

Kim

Je crois que ce sont souvent des architectes d’intérieur qui utilisent beaucoup le motif.

Florent

En ce qui nous concerne, on dessine beaucoup et on fait aussi beaucoup de 3D. La 3D permet une immersion ainsi que de travailler tous les points de vue d’un lieu. Les clients ont souvent besoin de voir si l’ambiance, l’atmosphère fonctionne.

Kim

Le dessin, ça permet de commencer, d’échanger entre nous facilement, de discuter avec les artisans et les entreprises, d’essayer des choses rapidement aussi. C’est pour nous l’outil de l’instantané. La 3D nous permet de tout modéliser et de vraiment nous projeter dans l’espace. Cela nous aide beaucoup au niveau de l’architecture et du volume : il est important pour nous que nos projets soient architecturés, c’est-à-dire pas seulement des éléments de décoration ajoutés à un espace.

TSF

Avez-vous des matériaux favoris ?

Kim

On adore les miroirs. Ils ne constituent pas un matériau noble ou précieux… mais le miroir nous permet d’apporter de la lumière dans un espace, de la réfléchir, de donner de la profondeur, parfois même de dupliquer les espaces, parfois encore de découvrir des perspectives qu’on n’avait pas repérées auparavant. C’est d’ailleurs ce qu’on a fait ici, chez nous.

Florent

Il y a toujours quelque chose d’un peu magique, de poétique dans le miroir, parce que le reflet n’est jamais totalement fidèle à la réalité… On aime utiliser des miroirs teintés, fumés, qui brouillent cette perception. C’est une sorte de déformation de la réalité qui nous plaît.

TSF

Comment votre éducation, votre entourage ont-ils influencé votre goût à chacun ?

Kim

J’ai grandi en Auvergne et mes parents habitaient dans une sorte de Villa Noailles façon années 1990, très moderne, avec un toit-terrasse, très peu de décoration à l’intérieur, c’était l’architecture qui donnait le ton. Du carrelage noir et blanc dans la salle de bains à la Andrée Putman… Moi, j’avais juste envie d’être comme tout le monde et j’aurais voulu vivre dans une maison normale (rires). Mais, in fine, je crois que cet environnement m’a beaucoup influencée. Même si j’aime aussi des gens très différents ! Mais j’apprécie la sobriété d’un lieu très architecturé, des lignes un peu claires.

Florent

Je suis né et j’ai grandi en Picardie, dans une ville médiévale. En gros, tout y datait du Moyen Âge et de la Renaissance ! L’architecture contemporaine, elle n’existait pas là-bas. Nous vivions dans une maison très ancienne, avec des boiseries et des parquets qui craquent. On ne pouvait pas jouer aux billes dans le salon parce qu’elles partaient toutes seules dans la direction opposée, les sols étaient penchés dans tous les sens.

Kim

Tes parents collectionnent des statues anciennes. Moi, la première fois que je suis allé chez lui, j’ai eu un peu peur le premier soir (rires).

Florent

C’est un peu chargé… En tout cas, l’esthétique est très forte chez mes parents, ils adorent voyager, chiner, acquérir des objets qui racontent des histoires. C’est sûr, cet aspect m’a beaucoup influencé aussi. Mais comparativement à cette vieille maison pleine de courants d’air, quand on a posé nos valises dans cet appartement avec Kim, j’ai eu l’impression de revivre la folie des années 1960, 1970, quand tout le monde pouvait acheter un petit appartement avec le chauffage central, une salle de bains et tout le confort nécessaire.

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Chinée un peu au hasard par le couple, cette coupe Christofle des années 1930 s'est avérée avoir été dessinée pour le fameux paquebot Normandie.

Chinée un peu au hasard par le couple, cette coupe Christofle des années 1930 s'est avérée avoir été dessinée pour le fameux paquebot Normandie.

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TSF

Comment influencez-vous mutuellement vos goûts ?

Kim

Florent a conservé ce goût pour l’accumulation. Là, chez nous, ça ne se voit pas, parce que, à notre arrivée ici, on a décidé de prendre une autre direction. Mais c’est vrai qu’il aime les objets et qu’il m’a transmis ce goût que je n’avais pas forcément au départ, celui du petit objet qui a une histoire, cette manière de créer une sorte de famille de pièces qui dialoguent ensemble, même si parfois elles n’ont rien à voir les unes avec les autres.

Florent

Les objets ont une âme ! Et j’aime beaucoup effectuer des recherches concernant nos trouvailles.

Kim

De mon côté, j’ai un penchant pour les choses un peu plus sharp, le design des années 1980 et 1990. Florent aura plus de fantaisie. Mais à force de vivre ensemble et de travailler ensemble, de passer tout notre temps l’un avec l’autre, on a surtout développé une sorte de goût commun, sans même avoir besoin de se dire les choses.

TSF

Comment avez-vous découvert cet appartement ?

Kim

L’immeuble qui abritait l’appartement dont nous étions locataires s’est retrouvé à vendre. On savait qu’on allait partir : on s’est mis en quête d’un nouveau lieu de vie. On a pris notre temps ! J’adore visiter des appartements, c’est mon problème, je suis très pointilleuse et j’en ai visité 25. Celui-ci était le vingt-sixième. Pour un premier achat, on voulait quelque chose d’un poil original. On ne pensait pas trouver un appartement comme ça dans un immeuble qui date de la fin des années 1960, début des années 1970. Ce n’était pas ce qu’on cherchait et l’annonce ne donnait pas franchement envie. Finalement, on le visite, un jour de beau temps… La lumière était superbe, malgré le papier peint, l’espace divisé par trop de cloisons… On a aimé ces deux niveaux séparés par quelques marches, qui nous donnent l’impression d’être dans une cabane perchée et la salle de bains dont on a conservé le marbre un peu kitsch d’origine. On a pu se projeter. Et puis on a adoré le hall de cet immeuble construit par Jean Gouriou, qui procure le sentiment d’être à Milan ! Par contre, il y avait beaucoup de travaux à faire.

TSF

Justement, quels travaux avez-vous réalisés ici ?

Florent

On a conservé la salle de bains en repeignant simplement au-dessus du marbre les murs, et en supprimant le bidet. Pour le reste, nous avons essayé de faire ressortir le dessin, le plan de cet appartement, qui avait été noyé par les travaux exécutés un peu à la va-vite au fil des décennies. L’accumulation de « petites touches » faisait que l’espace était devenu illisible. On a voulu faire ressortir la minéralité des lieux aussi, en répondant à l’immeuble où la pierre est très importante. Ensuite, on a imaginé notre propre vision de cette utopie des Trente Glorieuses dont on parlait plus tôt : vivre avec de la moquette blanche et moelleuse dans la pièce principale, par exemple. L’essentiel pour nous était aussi de reposer notre regard. C’est pour cela que la plupart des tons de l’appartement sont assez neutres, on a cherché cette harmonie. Notre chambre devait être dans la continuité du reste, c’est-à-dire très douce. On a voulu jouer sur la lumière qui entre ici le soir. Côté décor, le principe est simple : un grand mur de rideaux. Comme un cocon très enveloppant. On ne se sent plus à Paris. Plus nulle part, d’ailleurs !

TSF

Parlez-moi de l’un de vos objets préférés ici.

Florent

Cette coupe, posée sur la table de salle à manger. Elle a été créée par Christofle dans les années 1930. On l’a chinée sans savoir ce que c’était, puis j’ai effectué quelques recherches et je me suis aperçu qu’elle faisait partie d’une collection dessinée pour le fameux paquebot Normandie. Un vrai petit morceau d’histoire des arts décoratifs chez nous !

Kim

Moi, j’ai envie de parler de notre cuisine, tout en inox et modulable. On n’avait pas envie d’avoir des meubles hauts et fixes. On a donc créé une cuisine « mobile » et dont chaque élément est sur pied et peut se déplacer. Et puis une cuisine avec une moquette… Quand on est arrivés ici, on n’a pas osé tout de suite penser à la moquette. Mais on a fini par se dire qu’on ne pourrait faire ça que chez nous, qu’aucun client n’accepterait de mettre une moquette blanche dans une pièce à vivre : trop salissant… Mais on en est très contents. L’utopie de vivre allongé par terre et pieds nus !

TSF

Y a-t-il un objet de désaccord chez vous ?

Florent

Un domaine dans lequel nous ne sommes toujours pas d’accord, c’est celui des abat-jours. Kim déteste les abat-jours !

Kim

Bon, ici, comme il n’y a pas beaucoup de place, on a été obligés de se mettre d’accord.

TSF

Quelles sont les actualités du studio Haddou-Dufourcq ?

Kim

L’ouverture de l’hôtel Lilou à Hyères au printemps. Un hôtel composé de 37 chambres, un restaurant et un bar piloté par David Pirone (La Reine Jane, Popolo à Hyères) sur lequel nous travaillons depuis près de trois ans.

TSF

Avez-vous quelques bonnes adresses du quartier à nous conseiller ?

Kim & Florent

Trois adresses avec une ambiance hors du temps : la Brasserie Boffinger à Bastille pour le décor, la soupe à l’oignon au munster et leur délicieuse choucroute ; Chez Janou, juste à côté de nos bureaux pour le menu du midi ou bien un pastis en terrasse l’été en fin de journée. Et enfin le café l’Arsenal à l’angle de la rue de Birague et rue Saint-Antoine pour Jean-Paul et sa truffade. Comme vous l’aurez compris, nous avons un bon coup de fourchette !

TSF

Quelle est votre pièce préférée de la collection The Socialite Family ?

Kim & Florent

La Table Tokyo en laque blanc crème pour son côté intemporel ; c’est une teinte que l’on affectionne. On apprécie aussi sa ligne sobre et élégante qui se marie avec tout !

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