Chez
Michel Vivien, l’insatiable
Les yeux de Michel Vivien sont des ogres. Des boulimiques d’images, des « bouffeurs de monde ». Une sensibilité extrême à double tranchant. Tantôt don, tantôt damnation. Celle de s’être senti très tôt concerné par la laideur et la beauté. La beauté. Celle des femmes notamment, qu’il suivra tout au long de sa vie. D’Annecy jusqu’à Paris, à 18 ans, pour vivre l’Aventure. Des ateliers de dessin à ceux de confection de chaussures. De la création de sa propre griffe en 1998 – après avoir inlassablement esquissé des modèles pour de grandes maisons – à l’ouverture de sa première boutique. Tout ça pour elles, qui, souvent, ne jurent que par lui ! Leur chausseur. Celui qui nous reçoit un matin dans son appartement du IIIᵉ arrondissement parisien au milieu de ses dessins et de ses multiples peintures. Son « fond d’atelier » sourit-il en confessant une insatiable gourmandise pour cet art auquel il s’exerce frénétiquement sur toutes formes de supports. Si tous ses après-midis y sont consacrés, ses matins, eux, sont dédiés à la chaussure. Et pour cela, direction son fief. Un ancien atelier de forgeron, sorte de château dans le ciel où les oiseaux nous gratifient généreusement de leur chant. Ici, Michel Vivien s’inspire. De la même manière que depuis ses débuts. Grâce au dessin, au travail et à la manière dont il le pratique. « Un devoir » qui, selon ses propres mots, « le commande ». S’embêter pour les femmes et ce, au nom de trois obsessions : la qualité, le confort et l’élégance. Voici ce qui distingue son si joli terrain que l’on ne peut s’empêcher de comparer aux univers qu’il se plaît à penser, des plans au choix des mobiliers, en bon autodidacte. Des lieux à l’ambiance familière où chaque objet possède une filiation proche, une histoire. Pour sa nouvelle adresse du 70 rue du Faubourg Saint-Honoré (75008 – Paris) comme pour son intérieur ou son enclave de verdure qu’il « vit depuis très longtemps », ce dandy épris de liberté a successivement endossé les rôles d’architecte, d’ouvrier et de décorateur. Un processus créatif dans lequel il se replonge à chaque fois avec délice, avide d’exploration.
Lieu
Paris
texte
Caroline Balvay
Photographies et Vidéos
Constance Gennari
TSF
Michel, pouvez-vous vous présenter ?
Michel
Je m’appelle Michel Vivien et je suis un créateur de chaussures français.
TSF
Parlez-nous de votre éducation au « beau ». Comment s’est développé votre goût ?
Michel
Mes apprentissages, c’est en solo. J’ai beaucoup de temps libre et je ne recherche pas le divertissement (pas d’écran), donc je bosse, je lis, je marche. Mes yeux sont des ogres. Les couleurs m’enchantent, les lignes me troublent. Je peins, je sculpte, je suis artisan aux pieds des femmes. Cette situation est optimale, nourricière.
TSF
Quand avez-vous décidé de dédier votre vie aux femmes ?
Michel
Une admiration dès l’enfance. Une « obsession ». Le cocktail beauté et désir.
TSF
Pourquoi à travers la chaussure en particulier ?
Michel
Le hasard d’un ami italien. Je faisais de la peinture et j’avais besoin d’un travail rémunéré. Cet artisanat difficile m’a captivé : dessin, sculpture des formes et des talons mais aussi le toucher des peaux, les couleurs. Enthousiasmant. L’aspect technique, l’ingénierie, l’exercice des forces et la recherche de l’équilibre. Excellent.
L’art, c’est mon jardin de vie. Je calme ainsi mon tempérament fort !
TSF
Quel est le point commun entre votre premier modèle et le dernier ?
Michel
Du sérieux, du dessin et la maîtrise d’un chaussant spécifique. Une beauté libre pour une vie trépidante.
TSF
Racontez-nous les dessous de leur naissance, du dessin à la confection.
Michel
Ma grande profession du dessin, une sélection sévère et une transposition sur la forme de mon modèle. Contrôle total. Ensuite, voyage en Italie où ce prototype sera patronné, coupé, piqué, monté, suivi d’un essayage à Paris sur notre modèle. Des corrections si besoin.
TSF
Vous avez travaillé avec les plus grands avant de fonder votre marque. Que vous ont apporté ces différentes collaborations ?
Michel
Je suis très technique. Les collaborations peuvent se transformer en exploit. La performance du show me donne la trouille et me plaît. Le risque, c’est bon ! J’aime servir car je m’écarte de ma raison. Je me travestis. Une partie de ces collaborations m’a apporté de la joie et de la fierté.
TSF
L’art est indissociable de votre personnalité. Ses courants et ses maîtres vous inspirent-ils quotidiennement ?
Michel
Une vie sans écran mais pleine d’images. Je dois me déplacer pour les recueillir, je marche, je peins, je lis. J’aime apprendre seul, c’est long mais solide, je pense. Je progresse, je découvre, je reclasse puis déclasse. Mes idées sont bien cadrées, maîtrisées, mais rien n’est fixé. L’art, c’est mon jardin de vie. Je calme ainsi mon tempérament fort.
TSF
Dans quelle période de l’Histoire auriez-vous pu vivre ?
Michel
Notre époque a quelques défauts. L’intervention lourde, laide et bruyante de l’homme partout sur la planète. Pétrole et poulet. Je regrette donc cette bande-son. Mes yeux pleurent le préfabriqué, l’intervention récente pleine d’angles, de rien sauf de moche. Nous sommes sur un paradis libre de beaucoup de fléaux. Dommage ! Les 500 ans de Léonard de Vinci m’ont entraîné dans son atelier d’apprentissage chez Verrocchio à Florence. Le maître, dessinateur donc peintre, donc sculpteur, donc architecte et décorateur, fondeur, bijoutier, ingénieur, voire autre si affinités. Ma curiosité et ma gourmandise auraient flashé ! J’adore les défis, l’exploration, les liens. L’époque est bêtement spécialiste.
TSF
Outre cet appartement, vous évoluez également dans votre « grotte », un ancien atelier de forgerons dans le XIᵉ arrondissement entièrement aménagé par vos soins. Que dit-il de vous ?
Michel
Ce lieu est une aubaine. Vaste, haut, lumineux. Je le vis depuis très longtemps. Le travail d’architecte, la décoration et le mobilier, je les ai dessinés, décidés. Pour les étagères et le parquet de mon bureau, j’ai acheté des billes de bois pour les débiter grâce à l’aide d’un merveilleux compagnon ébéniste. Je veux « me frimer ». Force et simplicité, réflexion sur les finitions. Je déteste les vernis et une bonne partie des peintures actuelles. Ces produits synthétiques m’apparaissent comme dérivés du plastique. J’ai travaillé les peaux de ce lieu, poncé cet immense parquet à ma façon. Je suis un ancien ouvrier du bâtiment, je joue à l’architecte.
TSF
Quels meubles et objets peut-on y trouver ?
Michel
Cet espace devient showroom pour quatre séquences de vente. Je l’ai décoré d’une table Gabriella Crespi et de quelques trucs chinés. Nous y trouvons aussi dessins et peintures de ma main.
TSF
De quoi avez-vous besoin pour être bien ?
Michel
Mes lieux de vie ! Je suis très privilégié. C’est un bel appartement qui me sert aussi pour la peinture et puis j’ai ces bureaux ensoleillés posés sur une enclave de verdure. L’essentielle nature pour l’œil, le bruissement des grands arbres, le chant des oiseaux pour la bande-son.
TSF
Où vous retrouverons-nous cette année ?
Michel
2021, c’est l’ouverture de ma boutique dans le VIIIᵉ arrondissement, au 70 rue du Faubourg Saint-Honoré. J’ai investi ce lieu avec mon procédé habituel. Dessin, dessin et pour la mise en place, j’ai fait appel à l’architecte Sophie Dries. Et puis le lancement de notre e-shop le 12 janvier.