Familles
Se réinventer dans la campagne bourguignonne, dans une bâtisse en pierre du XVIe siècle à la décoration tout en sobriété
Chez
Madeleine Froment, Mehdi Adraa et Lucie 12 ans
N’aie rien chez toi que tu ne saches utile ou que tu ne trouves beau. Un mantra du designer anglais William Morris porté en étendard par Madeleine Froment et Mehdi Adraa – fondateurs des éditions La Lune Décoration – qui résonne avec la philosophie des collections The Socialite Family. Une vision d’une décoration d’intérieur tout en sobriété – miroir du style de vie slow de cette ex-graphiste et de son compagnon –, matérialisée lors de leur exode tant désiré en campagne bourguignonne. Quittant sans regret leur appartement montmartrois pour la région de cœur de Madeleine, le couple d’ex-Parisiens se recentre alors sur le ciment de leur duo. Une complémentarité aussi personnelle que professionnelle qui leur donne l’envie de mettre à profit leur énergie créative dans un projet entrepreneurial, au croisement de leurs préoccupations écologiques et artistiques. Celles d’imaginer des objets du quotidien durables au côté d’un sourcing pointu de pièces chinées et d’une sélection de réalisations artisanales de jeunes talents. « Un nouveau départ » où Madeleine embrasse le dessin des créations de leur marque tandis que Mehdi apporte son expertise en gestion à la jeune entreprise. C’est en une bâtisse âgée de 500 ans que tous deux ont trouvé le lieu idéal où vivre cette nouvelle aventure familiale. Des airs de refuge bucolique, aux poutres en bois apparentes et aux tomettes terracotta où s’exprime l’ADN de leur nouveau projet. Simple, minimaliste, apaisant : des mots-clés qui sonnent juste dans ce décor où la biodiversité vient apporter, elle aussi, l’inspiration nécessaire à leur quotidien. Rencontre.
Lieu
Dijon
texte
Juliette Bruneau
Photographies et Vidéos
Valerio Geraci
TSF
Madeleine, Mehdi : pouvez-vous vous présenter ?
Madeleine
Nous sommes les fondateurs de La Lune et des éditions La Lune. Nous nous sommes rencontrés il y a neuf ans à Paris. On a tout de suite compris que ça allait coller entre nous, et surtout on a découvert qu’on savait travailler et créer ensemble. Cela a été fondateur pour tout le reste de notre histoire. Nous avons fait des courts-métrages, organisé des expositions, restauré une maison et créé notre marque ensemble. Nous sommes tous les deux des enfants des années 1980 ayant grandi entre Paris et la banlieue, tous les deux de grands curieux et créatifs, mais nous avons chacun notre univers et nos compétences. J’ai, de mon côté, fait des études d’arts appliqués à Paris, à L’Ensaama, en communication visuelle, et j’ai travaillé comme directeur artistique et graphiste pendant plusieurs années, avant de comprendre que j’avais besoin de me consacrer à mes propres projets. Le dessin a toujours fait partie de ma vie, les formes, les matières, la recherche de l’équilibre, de la beauté. Avec La Lune, je dessine notre propre collection de mobilier et je réunis des talents pour proposer des objets rares et singuliers. Mehdi a grandi entre la Seine-Saint-Denis, la Normandie et le Maroc. Il adore la culture pop et particulièrement ce qui touche aux années 1980. Issu d’une formation dans le management qui ne lui correspondait pas vraiment, il s’est tourné rapidement vers ses passions qui sont le cinéma et la vidéo. Lorsque j’ai lancé mon activité, j’ai eu vite besoin d’aide dans les phases d’achat, de préparation et de livraison. Et comme l’entreprise prenait de l’ampleur, Mehdi est entré à son tour dans l’aventure.
TSF
Parlez-nous de votre enfance. Dans quel environnement avez-vous grandi et comment cela a-t-il influencé votre idée de la beauté ?
Madeleine
J’ai grandi entre un appartement parisien et une maison de campagne en Bourgogne, à quelques kilomètres de là où nous sommes installés. Mes parents avaient acheté pour une bouchée de pain une maison très rustique où j’ai passé toutes mes vacances. Il n’y a pas que des gens pour nous servir de tuteurs, certains lieux peuvent également jouer ce rôle. Je crois que cet endroit dépouillé, les pierres, les poutres, les meubles chinés dans les brocantes, les étés dehors ont été des « personnages » dans ma construction et ont révélé ma sensibilité aux choses. Évidemment, Paris, les musées, l’amour de mon père pour la peinture et le goût de ma mère pour les brocantes ont forgé ma culture et mon appétence pour ces sujets.
Mehdi
Madeleine et moi n’avons pas forcément le même rapport à la décoration et je ne suis pas contre qu’elle prenne les rênes. Si elle me laissait faire, il y aurait certainement un flipper dans le salon et un château pour mes chats (rires). J’ai des goûts assez différents, ayant grandi entre les vieux films de kung fu et les salles d’arcade. La sobriété de sa décoration me plaît et m’apaise et je n’aurais certainement pas imaginé aménager la maison de la sorte. J’aime le pratique, c’est pourquoi je m’attache à l’ergonomie quand elle choisit les pièces de mobilier et de décoration. Toutefois, mon bureau reste mon univers et il est aussi éclectique qu’un bazar marocain, le côté geek en plus (rires).
Nous avions un petit appartement à Montmartre, dans lequel nos envies étaient frustrées par le manque de place, et on s’est demandé : "Pourquoi ne pas tout retenter ailleurs ?"
TSF
Après un chapitre parisien, vous avez décidé de venir vous installer en Bourgogne. Expliquez-nous ce choix de vie.
Madeleine
Je pense que j’adore l’idée d’un nouveau départ. C’est Mehdi qui m’a motivée à imaginer une vie à la campagne, là où je me sentais plus urbaine. Nous avions un petit appartement à Montmartre, dans lequel nos envies étaient frustrées par le manque de place, et on s’est demandé : « Pourquoi ne pas tout retenter ailleurs ? » Réinventer nos vies professionnelles qui ne nous satisfaisaient pas, réinventer également notre quotidien, avec la possibilité de se mouvoir dans une grande maison, avoir de la place pour expérimenter. Nous avions également la contrainte de temps, car nous devions quitter l’appartement parisien rapidement. Le côté pressant de cette situation nous a aidés à ne pas trop penser à nos craintes pour laisser toute la place au désir. Nous avons tracé un cercle autour de Paris pour ne pas nous isoler de nos amis et contacts professionnels, et nous avons cherché des maisons dans ces zones. Au final, la Bourgogne s’est révélée comme un choix évident pour des raisons pratiques, économiques, et aussi pour le lien que j’avais avec cette région. Et il faut ajouter que les vallées de l’Auxois sont très belles.
TSF
Racontez-nous cette rencontre avec cette bâtisse en pierre que vous habitez.
Madeleine & Mehdi
C’est une bâtisse de 500 ans, avec des détails très beaux : une fenêtre en arc de cercle, des corbeaux de pierre taillée pour soutenir des poutres énormes, des linteaux sculptés, des vieux parquets, des tomettes, des volets intérieurs en bois. Quand nous l’avons récupérée, elle était dans son jus, tout était à refaire… Nous avions perçu une belle énergie, dès la première visite. Nous ne nous sommes pas trompés, c’est une maison qui nous porte chance, malgré les heures passées dans la poussière et les premiers hivers froids. On se rend compte que c’est un lieu qui nous a permis de réaliser beaucoup de choses depuis que l’on y vit. Et surtout, c’est une maison habitée : les abeilles y sont installées depuis des années, dans le creux d’un mur, les oiseaux aussi y font leur nid, on y croise des insectes de toutes sortes, des hérissons, des lézards, en fonction des années, la biodiversité est un vrai bonheur à observer.
TSF
À travers votre projet La Lune décoration, vous proposez des objets confectionnés pour la grande majorité par la main de l’homme qui prônent une consommation consciente et raisonnée. Comment cet état d’esprit se traduit-il également au quotidien dans votre vie de famille ?
Madeleine & Mehdi
Nous avons eu la grande surprise de rencontrer tout de suite après notre installation ici de nombreux artisans : vannière, céramiste, souffleur de verre, tailleur de pierre. Cela nous a permis de nous rendre compte des savoir-faire présents localement, et de la beauté que représente l’artisanat en termes esthétiques et spirituels. Nous avons donc, au quotidien, l’immense privilège de manger, boire, faire la cuisine dans des objets qui ont été faits par des personnes que nous connaissons, avec qui nous avons eu de belles conversations. Nous mangeons les hachis de Victor dans les assiettes de Kim et Amandine, savourons un thé infusé dans la théière de Laurence, dans les tasses de Clémentine ou d’Éva, et buvons dans les verres de Florian… Ce sont de petits bouts de vie qui accompagnent les heures de notre journée. J’aime l’idée que ce qui nous entoure est, pour l’immense majorité, vintage ou fait main. J’essaie de transmettre à mes filles l’idée que chacun de nos gestes a un impact, et que nous pouvons décider de le limiter. Qu’il est de notre devoir de faire l’effort de comprendre d’où vient un objet, quelles ressources ont été nécessaires pour le produire, l’acheminer, si la ou les personnes l’ayant produit ont été justement rémunérées et si ce travail leur permet de vivre dignement. Je me pose systématiquement la question quand je dois faire un achat et j’essaie d’inciter mes filles à avoir ce réflexe. Nous sommes végétariens et ces interrogations sont naturellement présentes également dans la question de notre alimentation. C’est encore à parfaire sur beaucoup d’aspects mais nous apprenons tous les jours. Avec comme mantra la phrase de William Morris : « N’aie rien chez toi que tu ne saches utile ou que tu ne trouves beau. »
J’essaie de transmettre à mes filles l’idée que chacun de nos gestes a un impact et que nous pouvons décider de le limiter. Qu’il est de notre devoir de faire l’effort de comprendre d’où vient un objet.
TSF
Pour vous, The Socialite Family, c’est ?
Madeleine & Mehdi
Une mine d’inspiration ! Je peux passer des heures à regarder les reportages, j’adore l’éclectisme des familles qu’on y voit, les détails et l’immersion dans les intérieurs. C’est toujours un plaisir de découvrir de nouveaux portraits, j’aime que les maisons et appartements soient incarnés, que l’on pousse la porte de personnes créatives. C’est une référence pour moi depuis des années.
TSF
Une pièce de la collection que vous verriez bien intégrer votre intérieur ?
Madeleine & Mehdi
Le banc Panchina. J’adore cette pièce et l’univers qu’elle représente.
TSF
Des adresses à nous recommander en Bourgogne ?
Madeleine & Mehdi
Les quatre maisons du moulin Papotte, pour passer quelques nuits dans un super décor, l’abbaye de Fontenay pour découvrir la beauté et la puissance de l’endroit, la si jolie boutique Poudre Organic de nos amis Manon et Quentin à Avallon, le restaurant Cibo et la créativité d’Angelo son chef, à Dijon, le Consortium, musée d’art contemporain dijonnais installé dans une ancienne usine.
TSF
Où vous retrouverons-nous prochainement ?
Madeleine & Mehdi
Nous sommes très heureux de réaliser une collection en collaboration avec le duo d’architectes d’intérieur Heju que nous présenterons à Paris lors de la Design Week en septembre et dont fait partie le tabouret qui se trouve dans notre salon. Nous avons hâte d’en dévoiler davantage…
C’est une bâtisse de 500 ans, avec des détails très beaux : une fenêtre en arc de cercle, des corbeaux de pierre taillée pour soutenir des poutres énormes.