Familles
Dans le quartier du Camas, un appartement fait de décalages temporels, à la fois minimaliste et chaleureux
Chez
Sarah Espeute et Lucas Marin-Matholaz
Raconter des histoires. Telle est la volonté de l’artiste Sarah Espeute, qui a choisi la broderie comme moyen d’expression. C’est en tant qu’autodidacte que notre hôte du jour embrasse cette technique délicate et poétique. Une liberté d’apprentissage et d’appréhension de la matière qui lui permet d’exprimer avec aisance ses talents de conteuse. Des histoires qu’elle puise dans le quotidien marseillais. Autant de scènes de vie inspirantes que la native d’Arles observe avec plaisir pour saisir avec justesse le beau. Sobrement intitulé Œuvres Sensibles, le projet de cette créatrice habille les tables de diverses pièces uniques – nappe, chemin de table ou encore set de table – avec comme trame des dessins brodés à la main. Des créations bijoux à exposer, très souvent monochromes. Un côté « humble et intemporel », pour des objets qui peuvent se targuer d’avoir été pensés pour « cohabiter subtilement dans un intérieur sans qu’ils ne prennent visuellement trop de place ». Le reflet d’un désir prégnant de simplicité et d’épure, qui se concrétise dans l’appartement partagé avec Lucas Marin-Matholaz dans le quartier du Camas. Designer à l’instar de sa compagne, le fondateur du studio de motion design Crisscross.studio participe à sa manière à l’élaboration de ce que l’autodidacte nomme affectueusement une « œuvre inachevée ». Un intérieur que Sarah aborde comme « un espace de recherche et d’expérimentation » où se mêlent à ses créations, objets sentimentaux et meubles chinés. Ce goût pour l’ancien, la Marseillaise le tient de ses parents. D’infatigables curieux passionnés d’histoire, l’ayant habituée dès sa plus tendre enfance aux visites de monuments historiques. Une éducation ayant fortement marqué son identité artistique et qui l’inspire à renouveler constamment l’aménagement des volumes de ce dernier étage avec terrasse. La rencontre entre d’illustres signatures de l’histoire design et de parfaits inconnus. Un terrain de jeu fait de décalages temporels à la fois minimaliste et chaleureux !
Lieu
Marseille
texte
Caroline Balvay
Photographies et Vidéos
Valerio Geraci
TSF
Sarah, Lucas : pouvez-vous vous présenter ?
Sarah & Lucas
Sarah, artiste-designer et Lucas, motion designer, en couple depuis dix ans, nous vivons à Marseille depuis maintenant deux ans en compagnie de trois gros chats, Charlie, Romy & Sergio.
TSF
Quel est votre parcours ?
Sarah
J’ai grandi en Provence et après des études en arts appliqués en communication visuelle à Olivier de Serres (Ensaama) à Paris – dans la même école que Lucas –, j’ai fondé ma propre imprimerie et maison d’édition, Riso Presto, spécialisée en impression RISO à Paris. J’ai ensuite travaillé en duo quelque temps sous l’entité Klima Intérieurs, où l’on explorait l’objet et le design intérieur par le biais de l’illustration. À présent, je développe mes idées d’objets de décoration sous l’entité Œuvres Sensibles.
Lucas
Après des études générales scientifiques, je décide de me tourner vers les arts appliqués dans le domaine digital, puis de suivre une formation de concepteur rédacteur multimédia aux Gobelins où je me forme à la conception d’applications web et mobiles. Après quelques années en tant que directeur produit d’une start-up dans le milieu de la finance, je me lance avec un ami dans un studio de motion design, crisscross.studio, pour lequel je travaille encore aujourd’hui.
TSF
Parlez-nous de votre éducation au beau. Comment s’est développé votre goût ?
Sarah
Par mes parents, j’ai développé un goût pour les objets anciens. Chez eux rien n’est neuf, tout est chiné et nous avons visité beaucoup de monuments historiques et d’églises ! Puis pendant mes études à Paris je me suis intéressée à l’art et au design du XXᵉ siècle.C’est à ce moment-là que mon goût du beau s’est affirmé. C’était une toute nouvelle dimension esthétique qui s’ouvrait à moi !
Lucas
J’imagine que ma façon d’appréhender l’esthétique est guidée par ma formation scientifique, avec une attirance plus marquée pour les formes régulières, anticipables et les compositions symétriques. Mais malgré mon « virage » vers des études artistiques, j’ai toujours des difficultés à avoir un avis tranché sur ce que je trouve beau. En général, je finis par m’en remettre à l’opinion de Sarah, il n’est pas rare que ma sensibilité au « beau » demande un peu de temps pour se forger.
TSF
Sarah, vous êtes la créatrice d’Œuvres Sensibles, entité qui regroupe votre travail de broderie et de peinture. D’où vous vient cet attrait pour ces médiums** en particulier ?
Sarah
Quand je me suis mise à faire des objets de manière autodidacte, la broderie est venue à moi très naturellement. Enfant, j’ai appris deux points à broder et cela m’a suffi pour pouvoir interpréter mes dessins sur du textile. J’ai aimé le rendu du trait dessiné et brodé dans l’espace intérieur, ça m’a donné envie de l’explorer et de m’en inspirer pour imaginer des histoires ! Mon approche de la peinture s’est aussi faite de manière autodidacte mais différemment, mon besoin est plus profond. Après avoir vu plusieurs expositions de peintres et de peintures, j’avais très envie de m’exprimer personnellement, de trouver mon style et de définir ma vision. Je ressens une envie forte d’expression pure et sincère que j’aime explorer en m’inspirant de ce que je puise en moi.
TSF
Parlez-nous de votre processus créatif.
Sarah
Chaque nappe est une nouvelle histoire ! J’aime lui inventer un thème et j’aime qu’elle fasse écho à un moment. Je compose avec des éléments du quotidien, ceux que je trouve beaux, qui m’interpellent. Si je reproduis la même chose, je m’ennuie. C’est pour cela que, désormais, je demande à d’autres petites mains de broder lorsqu’il s’agit d’un objet à produire en série et je me consacre aux pièces uniques pour pouvoir continuer à explorer de nouvelles sources d’inspiration.
TSF
Monochromie et matières naturelles font partie de votre signature artistique. Pouvez-vous nous expliquer ces choix esthétiques ?
Sarah
C’est vrai, je ne suis pas très attirée par les teintes vives dans la décoration. Je pense que la couleur doit se justifier, qu’elle doit présenter un intérêt, sinon je me lasse. Et puis j’aime l’idée que chaque objet puisse cohabiter subtilement dans un intérieur sans qu’il ne prenne visuellement trop de place. Qu’il soit humble et intemporel.
TSF
Designers, artistes : quels sont ceux dont l'œuvre a eu une influence sur vous, votre travail ?
Sarah
De manière générale, le travail d’artistes multidisciplinaires connus, comme Charlotte Perriand, Eileen Gray, Valentine Schlegel, Le Corbusier, Alvar Aalto, Charles Rennie Mackintosh, Isamu Noguchi et d’autres, m’a beaucoup confortée dans mes envies de design d’intérieur global et de croiser plusieurs domaines artistiques. Récemment, c’est le travail de Mathieu Matégot qui m’attire beaucoup avec son invention de la « rigitulle », une tôle fine, perforée comme de la dentelle. Et en peinture, je suis très sensible aux gestes de Hans Hartung et de Cy Twombly.
TSF
En tant que créatrice, quelle influence a votre activité sur la décoration de votre intérieur ?
Sarah
Mon intérieur se définit petit à petit. Je prends le temps de choisir et j’essaie de trouver un équilibre entre les objets. J’y mêle des objets sentimentaux mais aussi beaucoup de mes créations. J’entrevois mon intérieur comme un espace de recherche et d’expérimentation. C’est comme une œuvre inachevée !
TSF
Vos nappes, chemins de table, et sets sont des ornements pour les salles à manger. Quelle place accordez-vous à l'art de la table et à la gastronomie dans votre quotidien ?
Sarah
Je dirais que c’est l’art du quotidien qui m’intéresse et la table en est un des éléments symboliques ! C’est un objet vivant de partage et de convivialité que j’aime mettre en valeur mais dans une forme de simplicité et de sincérité.
TSF
Que dit votre appartement de vous ?
Sarah
Lucas me dit souvent : « Tu vas arrêter de changer la disposition des meubles tout le temps ! » Mais c’est pour trouver l’agencement idéal ! J’aime que ça reste fonctionnel et qu’on ait envie d’utiliser tout l’espace. J’aime les intérieurs épurés et chaleureux à la fois. Les meubles sont tous d’occasion, sans être de designers connus. À l’exception de mes chaises Nuova X-Line de Niels Jørgen Haugesen trouvées miraculeusement chez ma coiffeuse ! Dans l’ensemble, c’est plutôt un mélange d’ancien et de moderne. J’aime beaucoup créer des décalages temporels, cela donne une ambiance particulière.
TSF
Vous habitez Marseille, une ville méditerranéenne connue pour son cosmopolitisme. Qu'aimez-vous le plus ici ?
Sarah
La mixité, la lenteur, les calanques, se baigner, les couchers de soleil, les relations humaines et notre terrasse !
TSF
Des créateurs marseillais – ou originaires des environs – dont vous aimez les productions ?
Sarah
Je nommerai des amis dont j’admire beaucoup la créativité : Lisa Favreau et Lisa Guedel-Dolle de la marque Azur, Léa Bigot en sculpture, Laure Amoros créatrice de Oros, Marie Jacotey en illustration, la designer Inès Bressand et le photographe Pierre Girardin.
TSF
Pouvez-vous nous confier vos adresses favorites ici ?
Sarah
J’aime beaucoup mon quartier, le Camas et ceux aux alentours, les Réformés, le cours Julien, Longchamp ou encore Noailles. Il y a plein d’adresses de bars et restaurants très sympas comme Limmat, Oumalala, Le Trois Quarts, Les Eaux de Mars, Il Capriolo, Chez Fun Funk mais aussi la Brûlerie Möka.
TSF
Où vous retrouverons-nous dans les prochains mois ?
Sarah
À Marseille, toujours ! Et pourquoi pas dans mon atelier. (Rires)
J’aime beaucoup créer des décalages temporels, cela donne une ambiance particulière.