Familles
A Paris, l'univers néo-Art Déco de deux "chineurs enragés"
Chez
Emane de Malleray et Vincent Viard, Otto 12 ans, Hyacinthe 8 ans et Paul, 7 ans
Avec The Socialite Family, Emane de Malleray et Vincent Viard partagent l’amour inconditionnel des belles choses. Ces deux-là en sont à leur troisième – bientôt quatrième, avec une maison de campagne en cours – réalisation en seulement une poignée d’années. Inconditionnels des chantiers, vite ennuyés par un environnement trop lisse et surtout, des travaux trop vite terminés, ils poursuivent la quête perpétuelle de la matière, de l’objet, de l’atmosphère, bref, du bel intérieur sous toutes ses coutures. Dans cet appartement à quelques encablures de la Gare du Nord, à Paris, on pénètre dans un environnement qui emprunte ses codes aux intérieurs des années 1940 à Paris, et dont la distribution, originale, a été entièrement repensée par le couple. Chaque recoin ici révèle un art du décor soigneusement réfléchi et appliqué : du bureau d’Emane, pensé comme une petite bulle légèrement désaxée sur le plan, où ses motifs de papiers peints prennent vie ; au salon et à la salle à manger, pièces magistrales et surtout centrales des lieux où se retrouvent la famille et leurs amis, en passant par la cuisine, toute en travertin, où bat le cœur du foyer. Certes, le lieu est beau. Mais avant tout, il est chaleureux. Et Vincent Viard l’affirme : dans une maison, ce qu’il y a d’encore plus fondamental qu’un décor, c’est qu’on se sente bien. Visite guidée à l’heure du thé.
Lieu
Paris
texte
Caroline Balvay, Elsa Cau
Photographies et Vidéos
Constance Gennari, Elsa David
TSF
Emmanuelle, Vincent, qui êtes-vous ?
Emane
Vincent travaille dans le secteur de la maison et je suis créatrice de papiers peints. Nous avons trois garçons et vivons depuis toujours à Paris. Nous partageons un amour commun pour tout ce qui touche à l’habitat. Nous aimons penser les intérieurs. De la rénovation à la décoration, l’exercice nous fascine. Et on m'appelle Emane !
TSF
Quel est votre parcours ?
Vincent
J'ai fait des études assez généralistes : Sciences Po, puis un master à l'ESSEC. Ensuite, j'ai travaillé pendant pas mal d'années dans l'univers de la communication, dans des agences de création qui faisaient de la publicité pour des marques de prêt-à-porter. Et puis, je suis passé au monde de la maison depuis ces dix dernières années.
Emane
Moi, je suis assez autodidacte. Je voulais être comédienne, donc j'ai fait le cours Florent. Ensuite, j'ai monté une marque de vêtements pour enfants avec ma sœur, Adri. Je n'y connaissais rien, mais j'ai appris ! Je pense que c'était ma première expérience assez créative. Après ça, j'ai continué à travailler dans la mode enfantine avec de petites marques. J'aimais bien le modèle de petites boîtes où on était un peu à 360 degrés, on pouvait faire pas mal de trucs. Et puis, au bout d'un moment, quand même, j'ai eu l'envie de ne faire que ça, créer. Et du coup, J'ai fait un an de formation dans une école d'arts appliqués en design textile. Je voulais dessiner des motifs. Et de façon complètement inopinée, je suis tombée enceinte, ce qui n'était pas prévu et qui a repoussé un peu le calendrier que j'avais en tête concernant la remise au boulot. C'est là que je me suis dit qu'en fait, j'allais plutôt dessiner des papiers peints.Je suis totalement autodidacte. Aujourd’hui, je dessine et commercialise mes créations sous mon nom : Emane de Malleray !
TSF
Quelle est la cause à effet entre le papier peint et l'enfant ? (Rires)
Emane
C'est le temps. Le temps que j'ai eu en plus parce qu'il ne s'agissait pas d'aller chercher du boulot dans mon état ! Donc tout a été reculé d'une grosse année. Et cette année je l'ai mise à profit pour dessiner. Je me suis aperçue que j'adorais dessiner des trucs en énorme (rires). Donc, le bon support, c'est plus un mur qu'une robe.
TSF
Parlez-nous de votre éducation au beau. Comment s’est développé votre goût ?
Emane
J’ai baigné dans un environnement esthétique lié aux belles maisons et aux beaux extérieurs mais je ne peux pas dire que mes parents aient eu un réel souci de nous transmettre la chose. Mon approche du beau est donc née de façon plutôt spontanée et était surtout liée à la mode. La recherche d’un bel accord entre matières, couleurs et formes. C’est vraiment comme ça que j’ai commencé à exprimer ma sensibilité esthétique. La rencontre avec Vincent, qui avait, lui, une approche très différente de la mienne et avait bénéficié d’une véritable éducation du goût depuis l’enfance, m’a fait évoluer et m’a permis d’élargir mon univers. Le terrain de jeu est maintenant beaucoup plus vaste !
Vincent
Ça vient clairement de ma famille ! Nous recherchons la beauté partout et tout le temps. Dans les livres, les paysages, les objets, les maisons… Et puis j’ai toujours travaillé à proximité de directeurs artistiques qui m’ont permis de compléter mon éducation dans le domaine de la mode, du graphisme, du design et de l’architecture. Je voyage aussi beaucoup. À chaque fois, je reviens avec des centaines de photos qui me nourrissent et me permettent d’alimenter mon imaginaire. Mais je dirais que dans une maison, ce qu'il y a d'encore plus fondamental qu'un décor, c'est qu'on se sente bien.
TSF
Vos univers professionnels, s'ils touchent chacun au décor, n'interviennent pourtant pas dans votre intérieur commun !
Emane
J'ai l'impression qu'on est assez libres dans le regard qu'on peut porter chacun sur la déco. Ce qu'on aime est décorrélé de ce que de ce que peuvent impliquer nos boulots respectifs.
Vincent
Je ne suis pas créatif, donc c'est différent. Je pense qu'on est nourri par ce qu'on fait, par ce qu'on voit en permanence. On le digère on le ré-exprime autrement. On a des envies qui en découlent, mais pas forcément de manière littérale et immédiate.
TSF
Racontez-nous l'histoire et la trouvaille de cet appartement.
Emane
Ça faisait cinq ans qu'on était dans le 18e, on commençait à tourner en rond. Il fallait qu'on ait un nouveau projet. Il fallait se rapprocher de l'école pour les enfants aussi. Il y avait pas mal de critères et on tombe sur cet endroit qu'on n'a pas du tout aimé la première fois. On est partis sans même faire un commentaire. Et puis, l'agence nous a rappelés, il avait un peu baissé, on s'est dit: 'on va tout casser'.
TSF
Vous avez donc tout cassé, tout refait.
Vincent
Toute la distribution était différente. On a tout changé : la cuisine de place, une salle de bains, créé une chambre en plus... En tout, six mois de travaux.
Emane
Il y avait des moulures dans ces deux pièces. On a fait sauter. On a retrouvé de très anciens papiers peints en grattant, qui dataient de la construction de l'immeuble en 1870. C'était l'époque où l'on peignait à la main. Mais impossible de les garder. Ils étaient dans un état terrible.
TSF
Et le tout sans architecte !
Emane
Vincent a conduit les travaux d'une main de maître. Il faut dire qu'on en est à notre troisième chantier.
Vincent
Faire intervenir le goût d'une personne supplémentaire, ça s'annonce toujours très compliqué pour nous. Et puis on a nos contresens à nous, qu'on aime, même si un professionnel nous les déconseillerait.
TSF
Qu'avez-vous voulu créer ici comme ambiance ?
Vincent
Notre précédent appartement était Haussmannien et, c'est à la fois un modèle architectural hyper efficace qui fait la personnalité de Paris, mais pour autant, c'est quand même toujours la même chose ! Et puis il y a moins d'expression possible dans un intérieur parce qu'on se dit justement: n'arrachons pas les moulures, ne cassons pas les boiseries. Et le résultat, c'est quand même toujours un peu la même affaire.
Emane
Ça donne une note qui est constante. Qui n'est pas inintéressante, mais c'est pas mal aussi, parfois, de changer. On a cassé la cheminée ici qui était une cheminée en marbre. Et puis on avait très envie de ce style un peu années 1940. Ça, c'était très clair.
Vincent
Cette histoire de bois, c'est quelque chose qui me trottait dans la tête depuis longtemps. Moi, j'avais plein d'images de références. Dont une des plus magistrales, c'est cet appart d'Auguste Perret dans le XVIe arrondissement. En tout cas, le bois a été un élément central. À Paris, en plus, c'est drôle d'avoir du bois parce que nous, ça nous évoque peut-être plus un ambiance plus de campagne. Sinon, il y a beaucoup de pierre, de travertin dans les salles de bains et la cuisine. Beaucoup d'art, dans la cuisine aussi. Je pense qu'on a une espèce d'obsession d'un certain nombre de matériaux qu'on retrouve dans tous les apparts qu'on a refait.
Emane
Pour les influences et les inspirations, je pense que c'est plus toi, Vincent. Elles sont toujours extrêmement claires dans ta tête. Moi, encore une fois, avec ce côté un peu autodidacte et puis plus sensible, ça passe rarement par la case cerveau. C'est le truc que je ressens, mais qui n'est pas construit. 'Tiens, j'ai vu ça, j'ai vu telle expo, j'ai visité telle maison...'
Vincent
Et sinon, j'aime bien l'art populaire, des choses assez simples, par ailleurs. J'aime cette simplicité et cette matière assez brutes. Et puis, je vais pas mal en Italie et c'est vrai que le goût italien, c'est quelque chose qui me parle beaucoup plutôt dans son expression plus moderne, donc plutôt deuxième partie du XXᵉ siècle, avec un mélange de sophistication dans les matériaux et en même temps de simplicité dans les formes. Pas une opulence trop visible.
TSF
Ce lieu est-il un mélange de vos goûts ?
Emane
C'est vraiment un bon équilibre.
Vincent
Les enfants, pour l'instant, n'ont pas tellement voix au chapitre (rires). Nous, on est toujours excités par les travaux. C'est vraiment notre occupation favorite. Quand on a trouvé cet appart qui était une ruine, qui n'avait pas bougé depuis 50 ans, c'était un terrain de jeu génial.
TSF
Parlez-nous d'une pièce en particulier que vous chérissez ici.
Emane
Cette tapisserie des Flandres, dans la salle à manger, qui vient de la famille de mon père. Elle dormait enroulée sur l'armoire du bureau de mon père. Vous vous rendez compte, ce sont mois, des années de travail, chaque petit point. Et pour moi qui adore dessiner des végétaux, alors là, je suis servie, c'est une verdure, j'adore !
TSF
Au quotidien, qu’est-ce qui nourrit, stimule votre inspiration ?
Emane
C’est une question qu’on me pose souvent. Je suis très séduite par la spontanéité dans l’art et dans l’esthétique en général. L’aspect brut, vivant et les contrastes me bouleversent. J’étais par exemple obsédée par l’idée de donner à nos fils un prénom mixte. L’idée d’un garçon portant un prénom ambigu me ravit totalement. Je n’ai eu gain de cause que pour Hyacinthe ! Du coup, mes inspirations sont multiples. En vrac, je citerais les peintres naïfs pour ce contraste créé par la maîtrise mise au service de la candeur, la danse contemporaine (les pièces de William Forsythe et de Pina Bausch étant mes préférées), les illustrations de livres pour enfants, aussi. Certaines sont renversantes ! Je garde en mémoire le souvenir précis du jour où, en maternelle, j’ai ouvert le livre des Trois Brigands pour la première fois. Un choc esthétique. Ces grands aplats bleus ou noirs sur lesquels se découpait la simple silhouette de leurs chapeaux, c’était tellement évocateur de mystère et d’obscurité ! Les matières aussi m’inspirent. Il y a quelque chose de très instinctif dans la façon de les apprécier car on fait appel à plusieurs sens. Ce n’est plus de l’ordre du raisonné ou intellectualisé, je crois que c’est ça qui me plaît ! Bref, je puise l’inspiration à la fois dans de grandes et de petites choses.
Vincent
Tout, tout le temps ! La question, c’est plus de savoir regarder, je crois. Je marche beaucoup, où que je sois, car c’est un rythme qui me laisse le temps de regarder. Et puis, bien sûr, les livres, les magazines, les voyages, les films, les gens, les expositions…
TSF
Dans quelle période de l’Histoire auriez-vous pu vivre ?
Emane
Les années 1930 et 1940. Que ce soit sur le plan de la mode, de l’architecture ou du design, ces deux décennies ont été extrêmement riches et continuent de me – nous – influencer aujourd’hui !
Vincent
Aïe, aïe, aïe, il y en a beaucoup ! De la Grèce antique pour sa beauté simple, au XVIIIesiècle, pour lequel j’ai une affection particulière aussi bien d’un point de vue formel que pour les Lumières, aux années folles où l’on s’est libéré stylistiquement de tellement de choses et où l’ambiance devait être formidable, aux années 1970 et 1980 qui, vues d’aujourd’hui, semblent si insouciantes, avec tellement de fraîcheur dans l’outrance… Mais je suis ravi de vivre aujourd’hui car on hérite de tout ça à la fois. Et je déteste la nostalgie.
TSF
Designers, artistes : quels sont ceux dont l’œuvre a eu une influence sur vous, votre travail ?
Emane
Sans hésitation, je dirais Josef Frank. Architecte et designer dans les années 1930/1940, il a créé des motifs pour la décoration intérieure totalement renversants. On trouve même des pièces de mobilier ornées de certains de ses tissus. Exceptionnel ! Son sujet de prédilection est la plupart du temps végétal, la façon dont il dessine la nature, dont il se l’approprie à travers ses illustrations est tellement simple et spontanée. Quant à son utilisation des couleurs… C’est magnifique. À en juger par son travail en matière de design textile, nous observons que l’époque était très audacieuse sur le plan décoratif quand on voit la richesse des motifs qu’il créait. C’est assez différent aujourd’hui. Nous sommes dans une approche décorative plus retenue, plus maîtrisée. À l’école, on me disait souvent que mes motifs étaient trop riches, qu’il fallait les économiser pour être plus rentable. Je suis tout à fait d’accord mais je n’arrive pas à travailler comme ça ! Il faut que ce soit riche et luxuriant, que l’œil se perde, sinon à quoi bon mettre du papier peint ?
Vincent
Pour moi, ce sera plutôt un lieu : la Villa Necchi à Milan. Pour l’architecture géniale de Piero Portaluppi qui est enrichie à mon sens par le mélange d’époques du mobilier et pour l’art de vivre qu’elle suppose. Chaque détail, de la poignée de porte au mobilier de jardin, est parfait. Je garde tout !
TSF
Quelles sont vos actualités ?
Emane
A force de déménager régulièrement et de concevoir de nouvelles idées pour nos différents lieux de vie, on finit par y prendre goût. A la suite du précédent sujet que vous nous avez consacré, j'ai eu la chance de voir des gens faire appel à moi pour des conseils : comment et où chiner, définir l'esprit de telle ou telle pièce à travers matériaux, couleurs, mobilier ou carrément me confier la réfection totale de plusieurs pièces. J'y ai pris beaucoup de plaisir et c'est une mission que j'accepte régulièrement dès lors qu'on m'en fait la demande. Cela me permet d'appliquer mon expertise déco de façon plus complète qu'avec le seul papier peint, j'adore faire ça !
TSF
Quelle pièce préférez-vous de la collection The Socialite Family ?
Emane
Je suis très sensible au textile évidemment, donc fan de toutes les collections de linge de maison chez The Socialite Family. J'adore le mix and match toujours pertinent des coloris, des matières et des motifs, on a envie de tout !
TSF
Que pensez-vous de The Socialite Family ?
Emane
TSF a su se créer cette place plutôt unique sur le marché de la déco, à la fois prescripteur, créateur et distributeur, c'est vraiment malin. Je pense que ça fonctionne parce que Constance a une vision très personnelle et authentique de la décoration, vision sans doute nourrie par ses racines italiennes, ce côté chic qui s'assume sans jamais en faire trop. Aller puiser dans sa culture familiale, dans ce qui nous constitue et savoir ensuite le partager au plus grand nombre est une démarche qui me parle.
Notre précédent appartement était Haussmannien et, c’est à la fois un modèle architectural hyper efficace qui fait la personnalité de Paris, mais pour autant, c’est quand même toujours la même chose ! Il y a moins d’expression personnelle possible
TSF
De quelle façon reflète-t-il votre personnalité et celle de votre famille ?
Emane & Vincent
C’est une recherche d’équilibre comme il en faut en toutes choses : de l’ancien et du moderne, du simple et du sophistiqué, des espaces confortables pour recevoir des amis mais aussi de l’espace pour la vie familiale. Et la possibilité de ménager les deux avec des pièces de réception très éloignées des chambres !
TSF
Où vous retrouverons-nous dans les mois qui suivent ?
Emane & Vincent
Probablement dans un nouvel appartement, car on aime trop l’exercice alors on a envie de rejouer !
TSF
Quelles sont vos bonnes adresses du quartier ?
Emane & Vincent
Marius (11 rue de chabrol, Paris Xe), c'est un resto dans son jus avec ses nappes à carreaux et sa devanture d'époque, l'ambiance est super chaleureuse (petit bémol pour ceux qui n'aiment pas le bruit..), la cuisine y est simple, innovante et toujours percutante. Un endroit typiquement parisien à nos yeux ! Love and Dress (51 rue Condorcet). La moitié de ma garde-robe provient de cette boutique, super sélection de pièces vintage, arrivages très réguliers et on peut toujours compter sur les conseils sincères et avisés de Julia et Arysone ! Le Marché St Quentin est un marché couvert typiquement parisien, il n'a rien d'exceptionnel mais comme tous les marchés il nous donne l'impression de vivre une vie de village. On croise des copains, on connaît les commerçants et on peut se faire de grandes tablées sur place les week-end avec les enfants et les amis, on déjeune d'un plateau d'huîtres pris chez l'écailler ou d'une pizza chez le traiteur italien. La gare du Nord. Elle a à priori mauvaise réputation comme toutes les gares parisiennes, à tel point qu'on ne la regarde plus. Pourtant cette façade est absolument magnifique, on en aperçoit une partie depuis notre balcon, je ne me lasse pas de la regarder.