Familles
L’univers intérieur passionnant de deux « chineurs enragés »
Chez
Emane de Malleray et Vincent Viard, Otto 7, Hyacinthe 4, Paul 3 ans
Avec The Socialite Family, Emane de Malleray et Vincent Viard partagent l’amour inconditionnel des mots et des belles choses ! Véritables personnages, ils nous font l’immense plaisir de nous accueillir dans leur quatrième réalisation… en cinq ans ! Trois appartements et une maison de campagne qui prouvent à quel point ces deux-là ont en commun « une fascination pour tout ce qui touche à l’habitat ». Un monde dont ils s’imprègnent au quotidien en levant la tête mais aussi en la baissant, sur leur téléphone à la recherche des milliers d’images capturées lors de leurs voyages ou plus simplement dans les pages d’un livre. Faire la liste de tout ce qui les inspire prendrait certainement trop de temps (et de place). La question, selon Vincent, serait plutôt « de savoir regarder ». Et de regarder, dans ce lieu aux murs ornés de travertin situé en plein cœur du quartier La Chapelle-Marx Dormoy, il y a « matière à ». Matière à rêver ; en se plongeant dans les incroyables dessins des papiers peints d’Emane, la fantasque autodidacte. Matière à se retrouver ; soi-même mais aussi en famille grâce à la fonction très précise de chaque pièce. Matière à créer ; plus que jamais à l’aide d’un minimalisme salvateur qui repose les yeux – et l’esprit – des créateurs le soir venu. Un ordre qui surprend à lire les réponses passionnées du couple que l’on s’attendait à voir accumuler inlassablement, eux-mêmes nous ayant au préalable confessé être guidés par la chasse au bel objet. Celui qu’ils découvrent, caché, et qu’il leur revient de révéler en l’associant à d’autres. Un peu comme le ferait Josef Frank – influence artistique majeure pour la Parisienne – avec les couleurs pour servir sa « philosophie des coïncidences heureuses ». À l’exception que leur motif « intérieur » à eux se doit d’obéir à la sacro-sainte règle du « +1 -1 ». À savoir : un objet rentre, un objet sort. Une contrainte pour certains qui, nous en sommes persuadés, rend pour ces « chineurs enragés » le jeu de l’aménagement et de la décoration encore plus excitant !
Retrouvez l’univers singulier d'Emane de Malleray et Vincent Viard dans notre livre auto-édité The Socialite Family, Retrospective. Un florilège des plus beaux intérieurs aperçus au fil de l’histoire de notre média à se procurer en boutique comme sur notre e-shop.
Lieu
Paris
texte
Caroline Balvay
Photographies et Vidéos
Constance Gennari
TSF
Emane, Vincent : pouvez-vous vous présenter ?
Emane
Vincent travaille dans le secteur de la maison et je suis créatrice de papiers peints. Nous avons trois garçons et vivons depuis toujours à Paris. Nous partageons un amour commun pour tout ce qui touche à l’habitat. Nous aimons penser les intérieurs. De la rénovation à la décoration, l’exercice nous fascine. En cinq ans, nous avons déjà changé trois fois d’appartement et rénové une maison à la campagne !
TSF
Quel est votre parcours ?
Emane
Je suis totalement autodidacte. J’ai commencé par une école de théâtre, puis j’ai monté ma boîte avec une de mes sœurs, une marque de pyjamas et de sous-vêtements pour enfants baptisée Adri. J’ai vraiment aimé cette expérience qui m’a beaucoup appris, notamment à dessiner ! Nous n’y connaissions pas grand-chose, alors nous avons tout improvisé. C’était génial car il fallait vraiment être créatives et j’ai pu toucher à tout ! Au bout de six ans, j’ai arrêté. J’ai ensuite travaillé pour quelques marques de mode, mais l’approche créative pure que j’avais connue chez Adri me manquait. Je me suis donc reconvertie dans le design textile et après une formation dans une école d’arts appliqués, je me suis mise à mon compte. Aujourd’hui, je dessine et commercialise mes créations sous mon nom : Emane de Malleray !
Vincent
J’ai commencé par un parcours classique dans de grandes écoles mais je me suis vite orienté vers la communication de marques de luxe. Non pas pour « le luxe » en tant que tel, mais pour travailler sur de belles choses. J’ai toujours beaucoup aimé tout ce qui est lié à l’architecture, aux objets, au mobilier. C’est désormais l’univers dans lequel j’évolue !
TSF
Parlez-nous de votre éducation au « beau ». Comment s’est développé votre goût ?
Emane
J’ai baigné dans un environnement esthétique lié aux belles maisons et aux beaux extérieurs mais je ne peux pas dire que mes parents aient eu un réel souci de nous transmettre la chose. Mon approche du beau est donc née de façon plutôt spontanée et était surtout liée à la mode. La recherche d’un bel accord entre matières, couleurs et formes. C’est vraiment comme ça que j’ai commencé à exprimer ma sensibilité esthétique. La rencontre avec Vincent, qui avait, lui, une approche très différente de la mienne et avait bénéficié d’une véritable éducation du goût depuis l’enfance, m’a fait évoluer et m’a permis d’élargir mon univers. Le terrain de jeu est maintenant beaucoup plus vaste !
Vincent
Ça me vient clairement de ma famille ! Nous y sommes affamés de beauté. Nous la recherchons partout et tout le temps. Dans les livres, les paysages, les objets, les maisons… Et puis j’ai toujours travaillé à proximité de directeurs artistiques qui m’ont permis de compléter mon éducation dans le domaine de la mode, du graphisme, du design et de l’architecture. Je voyage aussi beaucoup. À chaque fois, je reviens avec des centaines de photos qui me nourrissent et me permettent d’alimenter mon imaginaire.
TSF
Quand avez-vous su que vous souhaitiez y dédier votre vie ?
Emane
Je ne pense pas que cela se soit imposé de façon consciente. Je suis une hyper sensible, terriblement impactée par tout. Pour être bien, j’ai besoin de m’entourer d’ordre et de beauté. Ça me calme, m’apaise. Mais j’ai mis du temps à m’autoriser à changer de « statut », à passer de consommatrice à créatrice de belles choses. Aujourd’hui, ça me semble complètement naturel !
Vincent
Mon parcours universitaire plutôt classique était presque une entrave. Les belles choses, c’était pour les loisirs, ça ne faisait pas vraiment un « travail sérieux » ! Ça ne fait que quelques années que j’ai vraiment réussi à faire coïncider les deux.
TSF
Au quotidien, qu’est-ce qui nourrit, stimule votre inspiration ?
Emane
C’est une question qu’on me pose souvent. Je suis très séduite par la spontanéité dans l’art et dans l’esthétique en général. L’aspect brut, vivant et les contrastes me bouleversent. J’étais par exemple obsédée par l’idée de donner à nos fils un prénom mixte. L’idée d’un garçon portant un prénom ambigu me ravit totalement. Je n’ai eu gain de cause que pour Hyacinthe ! Du coup, mes inspirations sont multiples. En vrac, je citerais les peintres naïfs pour ce contraste créé par la maîtrise mise au service de la candeur, la danse contemporaine (les pièces de William Forsythe et de Pina Bausch étant mes préférées), les illustrations de livres pour enfants, aussi. Certaines sont renversantes ! Je garde en mémoire le souvenir précis du jour où, en maternelle, j’ai ouvert le livre des Trois Brigands pour la première fois. Un choc esthétique. Ces grands aplats bleus ou noirs sur lesquels se découpait la simple silhouette de leurs chapeaux, c’était tellement évocateur de mystère et d’obscurité ! Les matières aussi m’inspirent. Il y a quelque chose de très instinctif dans la façon de les apprécier car on fait appel à plusieurs sens. Ce n’est plus de l’ordre du raisonné ou intellectualisé, je crois que c’est ça qui me plaît ! Bref, je puise l’inspiration à la fois dans de grandes et de petites choses.
Vincent
Tout, tout le temps ! La question, c’est plus de savoir regarder, je crois. Je marche beaucoup, où que je sois, car c’est un rythme qui me laisse le temps de regarder. Et puis, bien sûr, les livres, les magazines, les voyages, les films, les gens, les expositions…
TSF
Dans quelle période de l’Histoire auriez-vous pu vivre ?
Emane
Les années 1930 et 1940. Que ce soit sur le plan de la mode, de l’architecture ou du design, ces deux décennies ont été extrêmement riches et continuent de me – nous – influencer aujourd’hui !
Vincent
Aïe, aïe, aïe, il y en a beaucoup ! De la Grèce antique pour sa beauté simple, au XVIIIesiècle, pour lequel j’ai une affection particulière aussi bien d’un point de vue formel que pour les Lumières, aux années folles où l’on s’est libéré stylistiquement de tellement de choses et où l’ambiance devait être formidable, aux années 1970 et 1980 qui, vues d’aujourd’hui, semblent si insouciantes, avec tellement de fraîcheur dans l’outrance… Mais je suis ravi de vivre aujourd’hui car on hérite de tout ça à la fois. Et je déteste la nostalgie.
TSF
Designers, artistes : quels sont ceux dont l’œuvre a eu une influence sur vous, votre travail ?
Emane
Sans hésitation, je dirais Josef Frank. Architecte et designer dans les années 1930/1940, il a créé des motifs pour la décoration intérieure totalement renversants. On trouve même des pièces de mobilier ornées de certains de ses tissus. Exceptionnel ! Son sujet de prédilection est la plupart du temps végétal, la façon dont il dessine la nature, dont il se l’approprie à travers ses illustrations est tellement simple et spontanée. Quant à son utilisation des couleurs… C’est magnifique. À en juger par son travail en matière de design textile, nous observons que l’époque était très audacieuse sur le plan décoratif quand on voit la richesse des motifs qu’il créait. C’est assez différent aujourd’hui. Nous sommes dans une approche décorative plus retenue, plus maîtrisée. À l’école, on me disait souvent que mes motifs étaient trop riches, qu’il fallait les économiser pour être plus rentable. Je suis tout à fait d’accord mais je n’arrive pas à travailler comme ça ! Il faut que ce soit riche et luxuriant, que l’œil se perde, sinon à quoi bon mettre du papier peint ?
Vincent
Pour moi, ce sera plutôt un lieu : la Villa Necchi à Milan. Pour l’architecture géniale de Piero Portaluppi qui est enrichie à mon sens par le mélange d’époques du mobilier et pour l’art de vivre qu’elle suppose. Chaque détail, de la poignée de porte au mobilier de jardin, est parfait. Je garde tout !
TSF
Nous sommes dans votre appartement. Comment l’avez-vous pensé ?
Emane & Vincent
Pour notre troisième appartement à Paris, nous voulions une approche axée de façon plus radicale sur la matière. Nous avons donc travaillé sur des alliances de matériaux et sur la résonance entre texture et couleur. Nous cherchions un équilibre entre des matières brutes, d’une part, et la manière dont elles seraient travaillées, d’autre part : du travertin aux murs de la salle à manger posé avec un système de panneautage assez sophistiqué, des tonnes de marbre non poli dans les salles de bains et la cuisine mais avec des systèmes d’étagères et de jardinières intégrés, de la toile de jute bien rêche pour gainer portes et placards mais avec des poignées en laiton… Nos précédents appartements étaient très peu cloisonnés avec des grandes pièces de vie. Ici, nous avons voulu que chaque pièce ait une fonction bien précise, assez bourgeoise et classique, en somme. C’est très important, parce que finalement, s’octroyer la permission de faire une dînette sur la table basse du salon avec trois copains semble beaucoup plus intime que le repas compassé dans la salle à manger. C’est presque transgressif !
TSF
On note l’omniprésence de la pierre, y compris au mur ! Pourquoi ?
Emane
En ce qui me concerne, je pense que c’est à nouveau cet amour de la matière. La pierre n’en finit pas de se laisser regarder et toucher. C’est doux, ça prend la lumière d’une façon bien différente que ne le fait un mur peint. C’est presque comme un paysage si on y réfléchit, ça confère à la pièce une atmosphère particulière, on trouve naturellement la pierre à l’extérieur, le fait de l’inviter à l’intérieur crée un contraste (encore un !) qui me plaît. C’est aussi une bonne alternative au papier peint ou au tissu pour faire exister un mur. Il faut préciser que je travaille de chez moi, je dessine toute la journée des motifs assez présents et riches. Le soir venu, j’ai besoin de me reposer les yeux et que mon intérieur n’interfère pas de façon trop évidente avec mon travail !
Vincent
Je passe beaucoup de temps en Italie pour ma part. Je crois que les façades des immeubles milanais sont un peu devenues une obsession !
TSF
Comment l’avez-vous meublé ?
Emane & Vincent
Nous sommes des chineurs enragés ! Ebay, le Bon Coin, brocantes, puces, salles des ventes, antiquaires, en France, à l’étranger : tout y passe. La chasse au bel objet est un moteur puissant pour nous, et nous nous meublons principalement de cette façon. Je pense qu’une bonne partie de la satisfaction que nous ressentons à posséder telle ou telle pièce de mobilier réside dans le fait que nous l’avons découverte cachée quelque part, et que nous la révélons en l’associant à d’autres : ainsi, nous nous l’approprions. Pour autant, nous ne voulons pas non plus nous laisser déborder. Il faut respecter la règle du « +1 -1 » : un objet rentre, un objet sort, pour ne pas se laisser aller à meubler ou décorer à outrance. C’est épuisant, une maison trop remplie et l’objet doit avoir une fonction, c’est sa première raison d’être. Nous avons très peu d’éléments purement décoratifs.
TSF
De quelle façon reflète-t-il votre personnalité et celle de votre famille ?
Emane & Vincent
C’est une recherche d’équilibre comme il en faut en toutes choses : de l’ancien et du moderne, du simple et du sophistiqué, des espaces confortables pour recevoir des amis mais aussi de l’espace pour la vie familiale. Et la possibilité de ménager les deux avec des pièces de réception très éloignées des chambres !
TSF
Où vous retrouverons-nous dans les mois qui suivent ?
Emane & Vincent
Probablement dans un nouvel appartement, car on aime trop l’exercice alors on a envie de rejouer !
TSF
Vous habitez dans le XVIIIearrondissement parisien. Quelles y sont vos adresses favorites ?
Emane
Nous sommes dans un coin très populaire du XVIIIeet nous apprécions vraiment sa mixité. Pour le coup d’œil architectural, il y a le bâtiment de l’ancienne Messagerie des Douanes rue Pajol. Sa façade art déco en béton est formidable. À la fois très rigoureuse mais avec pourtant plein de détails. Il a été très bien restauré, j’adore les volets en métal et les stores orange !Nous aimons aussi beaucoup toutes les épiceries indiennes du haut de la rue du Faubourg Saint-Denis. Les étals de fruits et de légumes sont dingues et on y fait de fantastiques découvertes. On se sent vraiment privilégiés de ce dépaysement à portée de main.Il y a aussi le 104, une véritable ouverture d’esprit habite ce lieu. Il existe peu d’endroits dans Paris aussi exempts du jugement que l’on porte constamment les uns sur les autres. Nous adorons aller y faire un tour le dimanche avec les enfants, le bâtiment extérieur est magnifique. Il y a de l’espace et surtout il y a une boutique Emmaüs dans laquelle il y a toujours un petit truc à dénicher !