Chez

Julie Pailhas, rhétorique sensible de l’objet

L’appel de Marseille a été plus fort qu’elle. Que son activité de styliste mode, que son ancrage parisien. Julie Pailhas – fondatrice de l’appartement-galerie Objets Inanimés – s’est laissée aller à cette « idée qui lui trottait dans la tête depuis longtemps ». Un « retour aux sources » dans la cité phocéenne qui l’a vue naître et où son œil au beau s’est aiguisé, de ses études aux Beaux-Arts à son passage au musée de la mode marseillais. Forte de l’héritage artistique transmis par son père Roger Pailhas – galeriste visionnaire – comme de sa sensibilité à l’image aguerrie au cours de sa carrière dans la mode, la pluridisciplinaire s’engage dans l’ouverture d’un espace hybride qui accueille amateurs d’art et collectionneurs. Tout en intimité. Dans cette enveloppe immaculée qui capte la lumière méditerranéenne, place est donnée aux objets qui se font conteurs d’histoires. Celles des talents qui les ont imaginés, dessinés, façonnés. Tabouret cylindrique du designer Axel Chay ou encore luminaires en céramique de Johanna de Clisson, ces éléments de décoration aux lignes tantôt courbes tantôt radicales s’accordent tous sur un point : une neutralité des couleurs. « Pour que chaque pièce dialogue sans écraser l’autre, mais que toutes se valorisent. » Sans cesse en mouvement et prêt à accueillir les créateurs de demain, le loft de l’esthète multiplie les narrations. Aux côtés de sa sélection design évoluent des œuvres picturales – à l’instar des photographies travaillées au cutter de Dune Varela – ainsi que de quelques pièces reflétant son héritage familial, comme sa table basse Gae Aulenti « offerte par ses parents pour ses 20 ans ». Un dialogue équilibré entre hier et aujourd’hui qui fait la part belle aux silhouettes organiques, que la Marseillaise propose dorénavant d’insuffler dans d’autres écrins, en faisant part de ses conseils avisés. Rencontre.

Lieu

Marseille

texte

Juliette Bruneau

Photographies et Vidéos

Valerio Geraci

TSF

  • Julie, pouvez-vous vous présenter ?

Julie

Je suis une femme de mon temps, libre, à la recherche du beau et j’apprécie de partager mon regard.

TSF

  • Quel est votre parcours ?

Julie

Après un passage par les Beaux-Arts de Marseille, j’ai fait la connaissance d’Olivier Saillard, alors conservateur du Musée de la mode de Marseille, que j’ai assisté. Puis, partie pour Paris, j’ai rapidement intégré l’équipe du magazine Elle où j’ai commencé ma carrière de rédactrice de mode. S’ensuivent de nombreuses années chez Condé Nast au sein du Glamour. J’ai dès lors beaucoup voyagé pour les shoots mode que je réalisais, puis j’ai travaillé auprès d’autres rédactions comme Grazia, Marie-Claire, Les Échos Week-end et Milk Décoration.

TSF

  • Comment votre terreau familial, en l’occurrence celui de votre père Roger Pailhas – galeriste ayant propulsé Marseille sur la scène internationale de l’art contemporain –, a-t-il influencé votre goût, vos sensibilités ?

Julie

J’ai eu la chance de naître dans une famille passionnée par l’art. Mais aussi par l’architecture et le mobilier de collection. Mon père Roger Pailhas était un galeriste plutôt visionnaire, reconnu pour ses choix radicaux, initié et épaulé par ma mère, Marie-Christine Pailhas. Elle est elle-même issue d’une famille d’artistes, dont mon grand-père François Bret, directeur et fondateur de l’École des beaux-arts et d’architecture de Luminy à Marseille. De fait, tout me prédisposait à m’y intéresser. C’est l’environnement dans lequel j’évolue depuis mon enfance auprès de mes parents, témoin de toutes les expositions, des vernissages et dîners. J’ai pu côtoyer de grands artistes internationaux comme Daniel Buren, Dan Graham avec qui mon père collaborait et les plus grands marchands comme Leo Castelli, découvreur du mouvement Pop Art.

L’idée est de recevoir ici, d’une façon privilégiée, le collectionneur ou amateur d’art et de design qui induit une rencontre humaine, chaleureuse et artistique.

TSF

  • Par quels besoins, envies a été guidé votre réaménagement à Marseille, votre ville de naissance ?

Julie

L’idée me trottait dans la tête depuis un moment. Une envie de retour aux sources, de proximité avec la nature. J’y ai d’abord acheté un loft comme pied-à-terre. Le confinement de 2020 et le lâcher-prise qui va avec m’ont permis de prendre cette décision de tout changer, mon activité et mon lieu de vie.

TSF

  • Que vous inspire cette ville ?

Julie

Marseille est un diamant brut qui ne laisse pas insensible celui qui y vient. On adore où on déteste. Elle m’inspire avant tout une ville où tout est possible, baignée par le soleil, ouverte sur la Méditerranée et un accès à une nature magnifique à protéger.

TSF

  • Vous êtes la fondatrice d’Objets Inanimés, une galerie qui a la spécificité de prendre place chez vous, transformant ainsi votre propre intérieur en une vitrine évolutive de vos trouvailles. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Julie

Objets Inanimés a été délibérément pensé comme un projet hybride, une galerie dans l’intimité d’un appartement où l’on peut se projeter. L’idée était d’y recevoir, d’une façon privilégiée, le collectionneur ou amateur d’art et de design qui induit une rencontre humaine, chaleureuse et artistique. Étant très ordonnée et appréciant que mon intérieur bouge régulièrement, cela s’accorde parfaitement avec mon activité en mouvement perpétuel en son sein.

Au sein de l’espace, j’ai évidemment mon propre mobilier, qui me fait me sentir avant tout chez moi. Des pièces choisies au fil de mon parcours et de rencontres (...)

TSF

  • On aperçoit dans votre espace des objets, des pièces de mobilier, des sculptures et des œuvres d’art signés d’artistes émergents, d’anonymes, mais aussi de références du design. Comment effectuez-vous votre sélection ?

Julie

Je travaille de façon instinctive. Je suis une fidèle qui aime les artistes avec lesquels je collabore, je les choisis chacun dans un univers bien particulier. Je collabore avec une quinzaine d’entre eux de façon régulière (céramistes, designers, peintres, artistes textiles, photographes). Je sélectionne les pièces selon ma vision et direction artistique, et collabore parfois à leur création. J’aime que l’on grandisse ensemble et la satisfaction du succès explosif de certains, qui confirme mon œil pour repérer les talents en devenir. La sélection des objets et pièces de mobilier mid-century design se fait au coup de cœur, selon l’équilibre des volumes et des matériaux, tout comme mon travail de styliste dans la mode. C’est une suite logique pour moi. La palette est volontairement de couleurs neutres dans mon espace pour que chaque pièce dialogue sans écraser l’autre mais que toutes se valorisent. Des pièces plus colorées sont cependant proposées à travers le site Objets Inanimés.

TSF

  • Quels sont vos derniers coups de cœur ?

Julie

Mon dernier coup de cœur est une œuvre de Dune Varela : Le temple d’Hera, une impression photographique de vestiges qu’elle est venue rehausser au cutter. L’artiste joue sur l’entremêlement des époques, travaille l’image comme un vestige sur lequel elle intervient, ou investit des matériaux tels que le marbre et la céramique afin de matérialiser la photographie sous forme de fragments. Tout simplement magnifique.

TSF

  • Comment avez-vous pensé votre appartement ?

Julie

Les installations sont pensées en fonction de l’espace et parfois l’inverse. L’espace évolue au fil du temps, des nouvelles pièces qui arrivent et des ventes. N’étant pas le white cube d’un lieu d’exposition classique, une réflexion évolutive s’impose et j’aime le challenge de trouver des solutions induites par un cahier des charges.

TSF

  • Et meublé, en dehors des pièces que vous proposez à la vente ?

Julie

Au sein de l’espace, j’ai évidemment mon propre mobilier, qui me fait me sentir avant tout chez moi. Des pièces choisies au fil de mon parcours et de rencontres, dont ce sublime canapé de Pierre Augustin Rose chez qui j’avais shooté une série pour le Milk Décoration, ma boule Isamu Noguchi qui donne le ton et une table basse Gae Aulenti offerte par mes parents pour mes 20 ans.

Je sélectionne ici les pièces selon ma vision et direction artistique, et collabore parfois à leur création.

TSF

  • Que raconte ce lieu de vous ?

Julie

Mon goût pour le mobilier ne date pas d’hier. J’aime m’entourer de pièces fortes, j’affectionne les courbes mais aussi les lignes radicales pour tempérer le tout. J’apprécie les ambiances chaleureuses dans lesquelles l’âme des pièces choisies donne au lieu une ambiance singulière où l’on se sent bien.

TSF

  • Pour vous, The Socialite Family, c’est ?

Julie

C’est un média qui met en avant les intérieurs contemporains auxquels on aime s’identifier et, plus récemment, une marque de mobilier à l’influence italienne due aux origines de Constance Gennari.

TSF

  • Où vous retrouverons-nous dans les prochains mois ?

Julie

Des projets sont en cours avec de nouvelles collaborations à découvrir prochainement à travers notre site objets-inanimes.com qui évolue tous les jours, sur Instagram et sur rendez-vous et sans doute des événements temporaires hors les murs. Pas mal de sollicitations, mais je préfère prendre mon temps pour trouver un lieu fort ou une formule qui convienne à mon projet de galerie hybride assumée. C’est aussi le développement de l’activité de conseil en aménagement intérieur et décoration, l’accompagnement de projets singuliers réalisés sur commande spéciale par mes artistes auprès de particuliers, ainsi que de l’achat d’art et sourcing également pour les professionnels.

TSF

  • Quels sont les lieux / adresses qui vous viennent spontanément à l’esprit lorsque l’on évoque Marseille ?

Julie

Je pense évidemment à la Cité radieuse de Le Corbusier, monument incontournable de la ville et au Mamo, centre d’art en son sein qui la surplombe. La friche de l’Escalette qui accueille chaque été dans ce lieu étonnant, vestige industriel dans les calanques où la nature aride a repris place, des expositions de design et d’art. La foire d’Art-o-rama, rendez-vous de fin d’été autour de l’art contemporain, descendante directe de la foire Art Dealers créée par mon père Roger Pailhas début 2000. On y trouve depuis l’édition 2022 un espace consacré au design. Et, bien sûr, une visite sur rendez-vous de la galerie Objets Inanimés !

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