Familles
Donner une seconde vie à une ruine.
Chez
Clément Miglierina et Audrey, Apolline 2 ans
Mademoiselle, une ruine qui reprend vie ou plutôt la vision d’un homme, architecte entre autres, mais surtout un être inventif et curieux de tout. Clément Miglierina nous ouvre les portes de son oasis bordelais, à la fois maison familiale et studio d’architecture. En 2006, tout juste diplômé, il crée e_lua®_, son propre studio. Depuis les projets s’enchaînent, passant de l’habitat collectif à la scénographie ou aux programmes éducatifs, avec au centre de tout une créativité sans frontière et un imaginaire qui se veut libre de toutes classifications. Clément Miglierina aborde chaque nouveau projet avec une vision très cinématographique, comme un monde à concevoir où personnages et espaces dialoguent avec l’existant : le paysage social et culturel dans lequel le bâtiment doit trouver sa place. Clins d’oeil facétieux, Clément nomme ses ouvrages avec humour ou romantisme. Le petit dernier sera Moby Dick, un pôle nautique bordelais. En attendant, Mademoiselle vous ouvre ses bras.
Lieu
Bordeaux
texte
Eve Campestrini
Photographies et Vidéos
Eve Campestrini
TSF
Clément, quelle est votre histoire ?
Clément
Né à Pau au début des années 80, je suis d’origine française et italienne et ai passé une partie de mon enfance en Norvège, à Stavanger. Petit, je dessinais énormément, en particulier des objets mobiles sous la forme de voitures ou d’avions aux proportions élancées, contemporaines et lisses. J’ai crée _elua_® en 1991, car il me fallait nommer les créations que je dessinais. C’est un nom inventé qui se voulait doux, tant dans son écriture que dans sa prononciation. Après avoir été tenté par l’aéronautique, j’ai choisi les études d’architecture, en me rappelant avoir décidé au collège de ne jamais être architecte suite à un stage malencontreux ! _elua_® m’a ainsi accompagné durant toutes mes études et est devenu le nom du studio que j’ai créé après mon diplôme d’architecte voilà plus de dix ans.
TSF
Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans le métier d’architecte ?
Clément
L’acte créatif et la possibilité de construire une idée, dans le sens premier du terme. Il y a peu de métiers que je connaisse où chaque décision, chaque hésitation a un impact direct sur un résultat que l’on peut voir et toucher pendant longtemps. C’est formidable, mais cela implique énormément de responsabilités. En tant qu’architecte, je dois faire les choses le mieux possible, car j’ai un devoir moral envers les habitants d’une ville et ce pour toute la durée de vie d’une construction.
TSF
Sur quel type de projets travaillez-vous ? Comment abordez-vous chaque nouvelle réalisation ?
Clément
Avec Jonathan, mon collaborateur, nous travaillons sur des projets très variés, de la scénographie à l’habitat collectif, du design à l’atelier de peinture, en passant par des écoles, des maisons ou la réhabilitation d’appartements. Nous ne cherchons pas à nous spécialiser, car le studio _elua_® se veut protéiforme. Les projets rebondissent les uns avec les autres pour aller ailleurs, vers plus de créativité. Chacun est, bien sûr, unique. Nous travaillons sur peu à la fois pour maintenir une vision complète. Un projet peut facilement devenir autre chose à travers tous les filtres techniques, normatifs, budgétaires et administratifs par lesquels il doit passer. Il faut rester vigilant pour maintenir les axes forts d’une architecture jusqu’à ses premiers utilisateurs. Pour eux, je m’évertue à n’avoir aucun style. Car le style en architecture, c’est la mort de la créativité. Chaque création est à chaque fois un nouveau départ, une nouvelle histoire à raconter. J’ai souvent l’impression de repartir à zéro, un peu comme l’auteur qui se retrouve face à sa page blanche. Puis lorsque j’aime suffisamment mon histoire, je la partage avec le maître d’ouvrage puis nous lançons ensuite les études.
TSF
Vous avez écrit un “Manifeste pour une architecture cinématographique”. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre démarche ?
Clément
Le cinéma est inspirant. Non pas dans son processus technique par ailleurs passionnant, mais dans sa capacité à créer un espace vivant, qui se construit sans fin autour de ses personnages, comme l’empreinte émotive de ses habitants imaginaires. Mon travail de fin d’étude reposait sur l’élaboration d’une maison projetée à travers l’utilisation de différentes séquences de film. La Collectionneuse, Le Mépris, Lost Highway, L’Anglaise et Le Duc, Novo ou 2046 devenaient autant de pièces d’une maison imaginaire, cinématographique et vivante. Le cinéma est mon architecte préféré. J’aime répéter cette phrase car le cinéma a façonné la ligne de conduite du studio. Une ligne personnelle et exigeante qui s’inspire de choses très disparates. Cela peut être une lumière stroboscopique sur le visage de Elle Fanning dans The Neon Demon, la mise en scène d’un cauchemar dans un film de Lynch, le reflet des phares de voitures dans une ville sous la pluie, le dessin d’une couture sur un vêtement, le graphisme d’un logo ou la musique de Rone ! Je n’ai pas de règle particulière si ce n’est d’éviter les références architecturales.
TSF
Mademoiselle est l’endroit où nous sommes. Racontez-nous ce projet.
Clément
Avant de devenir Mademoiselle en 2014, la maison était fatiguée, presque morte. Il y avait d’ailleurs dans le garage une bombe encore pleine datant de la première guerre mondiale ! Mon épouse et moi souhaitions trouver un espace qui puisse articuler le studio _elua_® et notre espace de vie tout en restant dans le centre de Bordeaux. Le projet a consisté à souffler dans une ruine pour lui apporter la vie à nouveau. Souffler les cloisons, ouvrir les murs, apporter la lumière pour transformer une vieille dame en une jeune fille fringante. Mademoiselle a ainsi pris forme. Le garage, orienté sur la rue, est devenu le studio. Le reste est notre maison, distribuée par une première séquence très noire, le couloir d’entrée, seule pièce conservée de l’existant. L’ancienne cour extérieure est devenue une cuisine au plafond de verre, le living-room, à l’étage se déploie face à un empilement de formes géométriques simples, comme les jeux de cube de notre enfance ou un assemblage de malles de rangement dans la soute d’un avion. L’espace extérieur, véritable pièce de la maison à la belle saison prend appui sur la verrière de la cuisine, protégé par un mur végétal et translucide. Entre, les espaces résiduels sont devenus les chambres, le dressing, les espaces de rangement et la salle de bain. Mademoiselle est fonctionnelle, nécessité de part sa petite taille, mais développe un imaginaire à la fois fort et doux, empreint de modernité.
TSF
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Clément
On va dire que je suis postmoderne, donc je n’ai pas vraiment de préférence pour un mouvement en particulier… Les plates-formes pétrolières qui se construisaient dans le port de Stavanger et leur départ dans les fjords vers la mer du nord m’ont laissé des images futuristes et poétiques. D’où mon goût immodéré pour l’architecture du Centre Pompidou ! Le cinéma, bien entendu, la beauté amoureuse, simple et complexe des films de Rohmer, la créativité du cinéma d’Alain Resnais, les rêves de David Lynch, l’enfance en général, l’amour que l’on construit chaque jour un peu plus dans notre couple et la défense de certaines idées, une lutte pour essayer d’avancer le mieux possible dans notre monde contemporain. Enfin une certaine forme d’humour, un décalage que j’essaye d’insuffler par les idées dans mon architecture, car après tout, rien de tout cela ne doit être pris avec sérieux, n’est-ce pas ?
TSF
Des projets à venir ?
Clément
Après Mademoiselle, une Madame nous irait très bien ! Et bien entendu notre fille Apolline, notre plus beau projet.