Chez
Franklin Azzi, créateur d’espaces
Penser le global et le collectif en architecture. Voici le credo de Franklin Azzi, élu « designer de l’année » par Maison&Objet en 2020 et 2021. Une distinction émérite – et rare ! – pour cet architecte aux multiples atouts, spécialiste de la conception d’espaces intérieurs et urbaniste, avec qui nous avons eu la chance de collaborer chez The Socialite Family. Notamment pour imaginer le dernier espace de coworking 2.0 The Bureau, aux volumes réhabilités par ses soins et au mobilier sourcé par notre service pro. S’impliquant également dans d’autres secteurs créatifs – avec la récente inauguration de son propre Fonds de dotation pour l’art contemporain –, le lauréat n’a de cesse de nous surprendre par sa multidisciplinarité. Une hyperactivité au service d’une productivité qui métamorphose la cartographie parisienne et étrangère, nous laissant songeurs. Car à quoi peut donc bien ressembler le repaire d’une figure internationale d’une profession toujours en mouvement ? À un manifeste, semblerait-il. Qui consisterait à faire cohabiter dans un intérieur des formes et des matières qui ne se « trompent » pas. Car durables, intemporelles et efficaces dans leurs lignes. Comme le fauteuil géométrique Wassily en tube d’acier dessiné par Marcel Breuer, véritable « symbole de l’industrie, de la production en série, de la standardisation et du fonctionnalisme » ou encore « la table et les chaises Jean Prouvé d’une résistance à toute épreuve ». Des pièces signées que notre hôte mêle sans distinction à des objets on ne peut plus rationnels. Un ballot de matelas spéciaux de l’armée par exemple. Trouvaille au « degré zéro du design » que le temps ne saurait altérer, confirmant ainsi la volonté du diplômé de la Glasgow School of Art de donner vie à une scénographie qui voit le mobilier pour ce qu’il est. Des constantes qui mettent à l’honneur le travail de l’homme sans artifice. Rencontre.
Lieu
Paris
texte
Juliette Bruneau
Photographies et Vidéos
Jeanne Perrotte
TSF
Franklin, pouvez-vous vous présenter ?
Franklin
Je suis architecte. J’ai créé mon agence d’architecture en 2006 et je développe une approche transversale nourrie de l’entrecroisement des regards et des disciplines. En faisant constamment dialoguer l’architecture, l’architecture d’intérieur, le design et l’art contemporain, j’élabore un art de concevoir et de construire ouvert à toutes les échelles et typologies d’espaces. En parallèle, en 2016, j’ai impulsé la création du collectif Nouvelle AOM, qui réunit trois agences parisiennes – Franklin Azzi Architecture, Chartier Dalix Architectes et Hardel Le Bihan Architectes –, avec lequel nous avons remporté le concours international pour la rénovation de la tour Montparnasse. Plus récemment, en 2019, j’ai créé le Fonds de dotation Franklin Azzi qui promeut l’art contemporain. Nous organisons une ou deux fois par an des expositions collectives ou en solo, et accompagnons également des artistes dans la fabrication de leurs œuvres.
TSF
Quel est votre parcours ?
Franklin
Juste après le lycée – où nous ne pouvons pas dire que j’étais très performant –, j’ai eu une sorte de révélation : je me suis inscrit en 1reannée à l’École spéciale d’architecture. À l’époque, des rencontres y étaient organisées avec des personnalités extérieures comme Steven Holl, Frédéric Borel ou encore Rudy Ricciotti. De grands praticiens, pas enseignants de formation, qui nous ont transmis leur passion du métier. J’ai ensuite eu quelques expériences à l’étranger. Notamment à la Glasgow School of Art créée par Charles Mackintosh. Je suis revenu décrocher mon diplôme en France, avant de partir faire mon service militaire en Inde pour le ministère des Finances à New Delhi et Ankara. Ça ne me rajeunit pas (rires) ! De retour à Paris, j’ai collaboré avec Architecture Studio, chez qui je suis resté huit ou neuf ans. Ils m’ont appris le métier et la méthodologie de projet avant de me confier la direction d’une société consacrée à la micro-architecture. Deux ans plus tard, j’ai décidé de fonder ma propre agence d’architecture et d’architecture d’intérieur, celle que vous connaissez aujourd’hui !
TSF
Parlez-nous de votre éducation. Dans quel cadre avez-vous grandi – et par conséquent développé votre goût ?
Franklin
J’ai fait mes études à la Glasgow School of Art, en Écosse. C’est une école qui, un peu à l’image du Bauhaus, intègre toutes les disciplines : du dessin industriel, du stylisme, de la poterie, de la sculpture, de l’ébénisterie, etc. C’est là que j’ai découvert le travail en collaboration avec des artisans et des artistes. Je butinais d’un atelier à l’autre, et me rendais compte qu’il y avait d’autres compétences, d’autres manières d’appréhender un projet, voir les choses différemment. C’est également là-bas que j’ai pris goût aux matières, aux matériaux souples ou encore aux tissus.
J’ai fait mes études à la Glasgow School of Art, en Écosse. C’est une école qui, un peu à l’image du Bauhaus, intègre toutes les disciplines : du dessin industriel, du stylisme, de la poterie (...)
TSF
Designers, artistes… quels sont ceux dont l’œuvre a eu une influence sur vous, votre travail ?
Franklin
Dans le désordre et dans toutes les disciplines, les grands classiques et inépuisables sources d’inspiration : Donald Judd, Alvar Aalto, Oscar Niemeyer, Claude Parent, Ludwig Mies Van der Rohe, Arne Jacobsen. Charles Mackintosh, principal représentant de l’école de Glasgow, m’inspire pour son ouverture d’esprit, sa curiosité pour l’art et l’artisanat – la valorisation des « métiers de la main ». Chez les contemporains, j’apprécie tout à la fois les artistes confirmés comme Tatiana Trouvé ou Romain Bernini et les jeunes talents à l’image d’Olivia Bloch-Lainé ou le collectif Nøne Futbol Club, découverts lors de nos dernières expositions collectives à l’agence. Sans oublier Philip Roth, Federico Fellini, (La)Horde, etc. Je vous avais prévenus, mes inspirations sont nombreuses et inépuisables (rires) ! Comme certains d’entre eux, j’accorde beaucoup d’importance à l’aspect fonctionnel et pérenne. Je suis clairement issu de cette approche globale et collective.
TSF
Racontez-nous l’histoire de votre rencontre avec cet appartement. Comment l’avez-vous pensé ?
Franklin
J’aimerais en changer ! J’y suis entouré de mes objets de prédilection, il y a des objets iconiques comme du mobilier trouvé dans la rue. Mon premier USM par exemple ! Il était recouvert de vinyle, je l’ai remis dans son état d’origine. J’ai une affection particulière pour le fauteuil Wassily en tube d’acier dessiné par Marcel Breuer, symbole de l’industrie, de la production en série, de la standardisation et du fonctionnalisme. La lampe de table Panthella de Verner Panton pour ses lignes épurées et sa lumière diffuse, la table et les chaises Jean Prouvé d’une résistance à toute épreuve ou encore le fauteuil AA de chez Airborne, dessiné par d’anciens élèves de Le Corbusier et inspiré d’une chaise pliante utilisée par les officiers de l’armée britannique au XIXe siècle. Il allie subtilement la forme et la fonction. J’aime particulièrement aussi la desserte de Mathieu Matégot en tôle d’acier perforée et sa structure tubulaire chromée sur roulettes qui date des années 1960. Et bien évidemment, quelques objets militaires, notamment le ballot de matelas spéciaux. Cela n’a rien à voir avec la guerre. Il s’agit plutôt d’un attrait pour le degré zéro du design. Ces objets sont fonctionnels, sans artifices et de grande qualité car ils sont pensés en série pour passer le temps et résister au pire.
Je suis entouré de mes objets de prédilection, il y a des objets iconiques comme du mobilier trouvé dans la rue. Mon premier USM par exemple ! Il était recouvert de vinyle, je l’ai remis dans son état d’origine.
TSF
Vous nous confiiez dans une précédente interview faire la différence entre univers personnel et professionnel – plus épuré, focalisé sur la durabilité et la pérennité – en ce qui concerne la décoration. Comment cela s’illustre-t-il chez vous ?
Franklin
Je collectionne quelques œuvres d’art. Celles de Geneviève Claisse, figure de l’abstraction géométrique, me touchent particulièrement en ce moment. Elle se concentrait sur la sobriété de ses créations, toujours et inévitablement géométriques, tant au niveau de la forme que du choix des couleurs. Les photographies de Sebastian Stumpf montrent des actions inopinées qui ont lieu dans les espaces publics. La caméra immobile attire l’attention sur des détails architecturaux. Ici, on voit Stumpf entre deux immeubles dans une faille caractéristique de l’architecture antisismique du Japon. J’aime l’idée de ces allers-retours entre nos expériences vécues des villes et les possibilités offertes par les interstices.
TSF
Que raconte ce lieu de vous ?
Franklin
La prochaine fois, je vous emmène dans ma maison de campagne ! Elle est bien plus à mon image que mon appartement parisien. Là-bas, je prends le temps de faire les choses. Je la rénove actuellement, je démolis, répare, fabrique, etc. J’aime pouvoir changer les manières de l’habiter et soigner le détail. Je suis maniaque… mais je travaille dessus ! (Rires) Mes lieux de vie ont en commun d’être plus colorés que notre agence dans le IIe arrondissement de Paris, où j’ai fait le choix, purement professionnel, du mobilier noir. Un peu à la manière des artistes dans leur atelier, j’aime la sobriété dans l’endroit où je travaille. Je n’aime pas les couleurs dans mon bureau.
TSF
Pour vous, The Socialite Family, c’est ?
Franklin
The Socialite Family est une fenêtre sur les intérieurs et au cœur de l’intimité des gens qui font le monde d’aujourd’hui.
TSF
Où vous retrouverons-nous dans les prochains mois ?
Franklin
Sur différents projets tous plus excitants les uns que les autres ! À New York, pour le flagship de la marque chinoise EP Yaying que nous avons réalisé en collaboration avec Serge Ruffieux, fashion designer. Au Japon, où nous exposons du mobilier au cœur de l’exposition itinérante Maison&Objet et prochainement en Chine – après le dernier épisode du covid –, où plusieurs de nos projets seront présentés au sein de l’ambassade de France à Pékin. À Paris, sur le chantier de la Tour d’Argent que nous réhabilitons pour André Terrail, propriétaire de la table étoilée. Mais vous pourrez aussi me retrouver à l’exposition Conserver, Adapter, Transmettre au Pavillon de l’Arsenal qui présente notre projet de réhabilitation Temple, réalisé avec Ardian et piloté par Stéphanie Bensimon. Et probablement aussi dans nos locaux pour une future exposition autour de l’art et de l’artisanat organisée par notre Fonds de dotation.
Je collectionne quelques œuvres d’art. Celles de Geneviève Claisse, figure de l’abstraction géométrique, me touchent particulièrement en ce moment.