Chez
Solène Lahitte, Balthazar Camus et Paz, 18 mois
On la découvre au détour d’une impasse, après avoir emprunté quelques passages envahis de lierre, glissant le long de petits potagers et de maisons basses d’ouvriers. De l’extérieur, elle ne paraît ni neuve, ni vieille. À l’intérieur pourtant, c’est un véritable petit manifeste intime : celui du mode de vie de Solène Lahitte, styliste spécialisée dans la maille, Balthazar Camus, architecte et leur fille Paz, 18 mois. Traversante, la lumière partout présente changeant au fil des jours et des saisons, la maison s’ouvre sur le large paysage des anciennes usines et, au loin, des coteaux de la Seine. On se croirait tranquillement assis, à côté d’un Gabin en casquette, mâchouillant notre pitance du jour à l’orée d’un Paris s’éveillant aux temps modernes des Trente Glorieuses. Voilà pour la vue. Le lieu de vie, lui, est bien moins nostalgique et bien plus contemporain : économie de matériaux, défis techniques et espaces ouverts définissent en quelques mots cette maison pensée par un jeune couple de parents qui, entre la ville et la campagne, a choisi l’entre-deux. The Socialite Family a enjambé le périphérique pour les rencontrer.
Lieu
Paris
texte
Elsa Cau
Photographies et Vidéos
Jeanne Perrotte
TSF
Solène, Balthazar présentez-vous.
Solène
Je suis Parisienne depuis douze ans, originaire de Bourg-en-Bresse. J’ai fait des études de mode à Lyon. Je suis styliste maille, je travaille pour plusieurs marques de prêt-à-porter. Je partage ma vie avec Balthazar depuis dix ans.
Balthazar
J’ai grandi entre Paris et un village de Champagne. J’ai fait pas mal d’aller-retours entre ces deux adresses, après la séparation de mes parents, en vivant avec l’un, avec l’autre… J’ai d’abord étudié la géographie avant de bifurquer vers l’architecture. Je travaille pour le cabinet d’architecture Leclercq Associés. À côté de cela, je développe à mon compte des projets à taille humaine, plutôt résidentiels ou de petits bureaux. À terme, j’aimerais monter une agence en m’associant pour développer des projets sensibles aux lieux et aux usages.
TSF
Quel est le goût de votre enfance ?
Solène
J’ai toujours aimé dessiner et ma grand-mère cousait, elle m’a appris à coudre et nous avons beaucoup pratiqué ensemble. C’est donc plutôt le goût de la création, de la matière, que je retiens. Mes grands-mères avaient aussi conservé, dans de grandes malles, des vêtements des années 1900, 1910. On les touchait, on se déguisait… J’ai vraiment le souvenir du vêtement, dans mon enfance. Par ailleurs, j’ai grandi dans la nature, à la campagne, les forêts. C’est important pour moi, ce lien à la nature.
Balthazar
Le goût de mon enfance se dessine au fil des maisons dans lesquelles mes parents et moi avons vécu. Ils ont toujours créé des espaces atypiques et particuliers avec des demi-niveaux et du mobilier sur mesure. Ça m’a beaucoup marqué.
Solène
C’est une esthétique qu’on retrouve un peu ici, chez nous.
Balthazar
Oui. Mon père était réalisateur et producteur de films documentaires mais il fabriquait aussi des meubles dont certains que nous gardons ici : les étagères fixées devant la salle à manger en sont un exemple. Adolescent, j’aidais beaucoup mon père à leur fabrication, je ponçais le bois, je m’occupais des menus travaux. Ma mère a fait beaucoup de photographie – on a quelques-unes de ses œuvres, notamment entre l’entrée et le salon.
TSF
Ce goût de votre enfance, a-t-il influencé votre manière d’habiter l’espace aujourd’hui ?
Solène
L’idée de posséder une maison était en effet importante pour moi. Quand nous avons voulu être propriétaires, mon rêve était très clair : une petite maison avec un bout de jardin. Je me voyais boire le café en regardant mon enfant jouer à l’extérieur.
Balthazar
Oui mes choix ont été guidés par les codes de ma famille, c’est vrai. Le bois et l’acier, l’escalier qui divise l’espace… Cette maison c’est peut-être aussi l’aboutissement de toutes ces influences : à la fois chaleureuse par le bois, avec des touches minérales et métalliques, un équilibre important entre les deux matières. C’est le goût adulte de mon enfance.
TSF
Racontez-nous votre découverte de ce lieu.
Balthazar
Moi qui ai grandi à Paris, l’idée de la banlieue ne m’enchantait pas forcément…
Solène
Mais je tenais tant à vivre dans une maison !
Balthazar
Et puis on a beaucoup d’amis et de famille ici. Quand on a commencé à chercher un lieu à acquérir, on s’est baladé dans plusieurs quartiers autour de Paris et on est tombé amoureux de celui-ci, perché sur sa colline. Ce sont d’anciennes carrières de gypse du XIXe siècle, remblayées. Des ouvriers ont investi le site en construisant eux-mêmes leurs maisons à partir des années 1920. C’est la raison pour laquelle on se croirait dans les années 1950 ici, entourés de ces petites maisons d’ouvriers. Le quartier s’est conçu comme ça.
Solène
En se promenant ici on a vraiment aimé l’endroit, les passages très végétalisés, les petits potagers devant lesquels on passe en venant du métro, ces impasses sans accès aux voitures, comme chez nous… Comme rien n’était disponible sur le marché, on s’est tout simplement dit qu’on allait frapper aux portes des voisins pour savoir si quelque chose allait se vendre. Un monsieur nous a dit qu’il allait vendre sa maison : celle-ci.
TSF
Vous avez entièrement refait les lieux.
Solène
Oui, nous avons démoli – l’état de la maison ne permettait pas qu’on la rénove simplement – puis imaginé à nouveau, en accord avec le voisinage d’ailleurs, une nouvelle maison qui puisse se fondre dans le décor du quartier mais aussi convenir à nos attentes.
Balthazar
Nous avons beaucoup réfléchi selon les contraintes des lieux imposées par la ville et le voisinage : la maison doit respecter un certain retrait sur le terrain, par exemple. Son contexte, son environnement nous ont aussi beaucoup guidés dans la composition et l’organisation de l’espace. Les matériaux utilisés ont aussi été essentiels dans le déroulé du projet.
TSF
Peux-tu nous expliquer en détail la pensée qui a guidé la conception de votre maison ?
Balthazar
D’abord, la maison est traversante, ce qui est un point essentiel de son plan, et chaque pièce l’est. C’est rare : où que tu sois – nous sommes orientés est côté rue, ouest côté jardin – tu as de la lumière. La maison s’ouvre donc à la fois sur le quartier, d’une part et vers le paysage, d’autre part. Dès le départ, Solène et moi nous sommes dit que nous n’avions pas envie de tourner le dos au quartier et d’organiser les pièces à vivre vers le jardin et le paysage. Nous voulions faire partie du quartier, donc ouvrir la maison côté rue, imaginer une clôture qui ne soit pas très haute ni ne nous cache des autres, qui ne soit donc pas pleine, protège tout en ouvrant visuellement. L’inspiration ici, c’est vraiment l’architecture belge, hollandaise ou anglaise : on ne cache rien, on s’ouvre aux autres. De l’autre côté, à l’ouest, on a ce lien avec le grand paysage qu’offre le bassin parisien, avec en fond de toile les coteaux de la Seine. La maison reflète un peu ce double rapport au monde, intérieur et extérieur, local et global, dont on cherche toujours l’équilibre dans sa vie…
Nous avons pensé notre maison comme un équilibre entre chaleur des matières bien vivantes et minéralité des matières inertes
TSF
Les matériaux ont été une réflexion importante de vos travaux ici.
Balthazar
J’ai voulu m’inscrire dans la continuité historique du quartier, tant dans le système constructif de la maison, que dans son aspect extérieur, d’une matérialité banale avec cet enduit blanc typiquement parisien. Mais on a pensé à l’économie de matière et à la simplicité de mise en œuvre en utilisant des briques pour les murs. Il n’y a pas d’isolant ici : les briques monomur sont isolantes. Les planchers, dont vous voyez l’envers, au plafond, quand vous vous tenez au rez-de-chaussée, sont apparents. C’est la version moderne du plancher hourdi dont on a décidé de révéler la structure et qui est entrecoupée de béton. Généralement, on cache ce système par un faux plafond, mais nous aimions sa matérialité brute, il structure l’espace.
Solène
À l’intérieur, pour casser un peu ce style nordique et apporter de la chaleur, j’ai pour ma part souhaité qu’on s’inspire un peu de la culture méditerranéenne : j’étais un peu inquiète à l’idée de vivre dans une maison neuve, pour ne rien vous cacher (rires). Je trouve généralement que le neuf manque d’âme… J’avais besoin de quelque chose de tout de même charmant et enveloppant. L’argile crue, le béton teinté à l’étage, les faux blancs qui réchauffent, les enduits de terre naturelle aux murs qui adoucissent l’ensemble de l’architecture. Nous avons aussi dessiné la table de salle à manger, en bois de hêtre et en métal.
Balthazar
Nous avons pensé notre maison comme un équilibre entre chaleur des matières bien vivantes et minéralité des matières inertes !
TSF
Ce lieu vous ressemble-t-il ?
Solène
Oui, absolument. Par exemple, les espaces très ouverts nous ressemblent tout à fait : nous voulions un endroit vaste pour cuisiner, recevoir et communiquer où que l’on se tienne dans les pièces à vivre.
Balthazar
Ici, au rez-de-chaussée, il n’y a pas de cloison. La fonctionnalité est rendue visible, on ne cache pas tout par exemple dans la cuisine. L’escalier sert de séparation entre les espaces, tout en étant léger. D’ailleurs, il a été central dans la réflexion du plan : il est placé dans ce sens traversant lui aussi, comme la maison, pour distribuer les espaces. On l’a dessiné, comme beaucoup d’éléments ici, comme à l’extérieur, dans le jardin : on a créé cette terrasse en bois qui n’existait pas.
Solène
Il nous restait des briques à la fin des travaux et nous les avons utilisées pour ces grandes marches qui descendent au jardin. Elles créent une banquette l’été, on glisse des matelas dessus et tous les amis s’y installent, c’est très convivial.
Balthazar
Comme un petit amphithéâtre !
TSF
Quel a été le plus grand défi de cette maison imaginée de A à Z ?
Solène
La salle de bains, sans aucun doute !
Balthazar
On a mis beaucoup d’énergie dans cette pièce. L’idée était d’avoir quelque chose de monobloc, avec une seule matière qui t’enveloppe véritablement : le sol, les murs, la vasque, la baignoire, tout est en tadelakt traditionnel, cet enduit très utilisé au Maroc, ne nécessitant pas de vernis. Il s’agit d’une matière très fine, faite de chaux et de différents minéraux, qui est étanchéifiée au savon noir, ce qui la rend non seulement imperméable mais encore extrêmement douce au toucher, comme une pierre polie. Techniquement, c’était un défi. On a dû ajouter des renforts structurels au plancher pour soutenir la charge de la baignoire qui dépasse les 400 L.
Solène
On tient tous les trois dans notre baignoire. C’est un véritable espace de vie !
TSF
Parlez-nous d’un objet en particulier que vous aimez ici.
Balthazar
Nous avons remplacé le cannage de ces chaises de salle à manger Marcel Breuer par du bois de hêtre. Eh bien, on s’y sent bien mieux ! (Rires).
Solène
Nous chinons beaucoup pour notre intérieur, souvent en Belgique, mais nous faisons aussi ces réemplois de matériaux, assez souvent finalement ! On aime transformer. Moi, je citerais le parquet à l’étage, qui provient de l’ancien ministère de la Défense, à Paris, on l’a entièrement restauré, il est en chêne massif.
Balthazar
Dans la chambre de Paz, on a placé un meuble de mon enfance, que j’ai toujours connu, une sortie de vitrine-chiffonnier à plusieurs tiroirs qui vient Djibouti, où mes parents ont séjourné avant ma naissance pour y tourner un documentaire.
Solène
On aime aussi posséder des œuvres qui nous sont chères, d’amis par exemple, comme les tableaux peints par notre amie Jan Melka, le tabouret avec lequel joue Paz là, tout de suite, de Mathieu Merlet Briand aussi.
TSF
Que représente The Socialite Family pour vous ?
Solène
Un média inspirant et spontané, qui permet de découvrir des univers riches et vivants.
TSF
Quelle pièce de notre collection préférez-vous ?
Balthazar
La tête de lit Renato, pour ses lignes épurées
TSF
Avez-vous quelques bonnes adresses de votre quartier à nous recommander ?
Solène & Balthazar
Le magasin Vivant, une très belle sélection outdoor jardin et cuisine en ligne. Les Fleurs Prat, pour les beaux bouquets de fleurs locales disponibles en ligne et sur le marché de Bagnolet.
Villa Neuf Trois, excellente cuisine pour de belles occasions. Neptune, une brocante solidaire à Montreuil pour dénicher des trésors
Café Kaldi, très bon torréfacteur local (8 Bd Chanzy, 93100 Montreuil). Et Au bon Vingt, pour le choix de vin superbe (52 Rue de Bagnolet, 75020 Paris).