Familles
En plein cœur du Xᵉ arrondissement parisien, la maison-showroom du créateur de Midi
Chez
Jérémie et Alexia du Chaffaut, César 13, Ferdinand 10, Pénélope 8 ans
Sauriez-vous définir la Provence ? Pour Jérémie du Chaffaut, « elle part du Rhône jusqu’avant Nice. Passe par la Camargue, la Côte d’Azur, la Haute-Provence, le Luberon et la Drôme provençale ». Des territoires sublimes qu’il faut explorer en s’aventurant dans les terres à la recherche de trésors souvent méconnus, délaissant les lieux touristiques pour en saisir au mieux l’essence. Si l’on croit sans peine l’architecte d’intérieur, c’est pour une raison. Provençal de naissance, appartenant à une vieille famille de Haute-Provence « notre généalogie faite par un de mes oncles est remontée à 1483 ! », le Parisien d’adoption sait de quoi il parle. Cette terre, mais aussi celle d’Alexia – sa femme – et de leurs enfants, l’habite. Au point qu’il décide d’y consacrer l’autre moitié de sa vie à travers un projet au nom équivoque : Midi. Le milieu donc. Le Sud surtout. Une véritable déclaration d’amour à l’héritage provençal qui le berce depuis ses débuts dans la maison familiale de la Sainte-Baume. À l’intelligence de ses anciens, à ses savoir-faire séculaires – si divers et si riches ! – qu’il faut impérativement sauvegarder et transmettre. Afin de mûrir sa nouvelle aventure, le designer fait des recherches sur place pendant un an. Puis se lance en éditant avec « pas un meuble de plus, ni un objet de trop », mais du bon sens. En alliant respect des codes de la région et épure des formes. Le tout dans les plus belles matières. Dans la maison du couple, ce sont ces pièces, allégories d’une Provence contemporaine, qui mènent la danse ! Cohabitant joyeusement avec des objets ayant appartenu à leurs parents – antiquaires à leurs heures perdues – et à leurs grands-parents respectifs. À l’origine ancien local industriel situé tout près du canal Saint-Martin, les huit mètres de faîtage d’il y a quinze ans ont laissé place à un espace chaleureux repensé sur trois étages et organisé autour d’un patio central. Le cœur battant d’un intérieur qui leur ressemble, aussi créatif qu’accueillant et où – bonheur – chacun à son mot à dire. Même Pénélope !
Lieu
Paris
texte
Caroline Balvay
Photographies et Vidéos
Valerio Geraci
TSF
Jérémie, Alexia : pouvez-vous vous présenter ?
Jérémie
Provençal de naissance, Parisien d’adoption depuis presque vingt-cinq ans. Comme beaucoup, je suis « monté » à Paris pour faire mes études. J’y suis resté et j’y ai rencontré ma femme, Alexia.
Alexia
Je vous dirais la même chose ! Je suis arrivée à 17 ans pour faire mes études. Paris, sa culture, son histoire… Tout me faisait rêver. J’ai passé mes premières années parisiennes à écumer les musées, à marcher le nez en l’air pour surtout ne rien perdre des merveilles de la ville. Et puis j’ai rencontré Jérémie en lui envoyant mon CV. J’aime à dire que ce jour-là, je n’ai pas trouvé de travail mais un mari, bien mieux (rires). J’aime l’équilibre de notre vie. J’ai une famille merveilleuse et un travail qui me passionne. Je suis une quadragénaire très épanouie !
TSF
Quel est votre parcours ?
Jérémie
Je suis architecte d’intérieur, diplômé de Penninghen. J’ai travaillé durant presque vingt ans pour des maisons de luxe comme Chanel, Dior ou encore Longchamp. À la quarantaine, j’ai voulu revenir aux bases, à la source de mon métier, tout en mettant à profit les connaissances en image et marketing que j’ai acquises au cours de toutes ces années en créant Midi, maison d’édition provençale.
Alexia
Designer produit et architecte d’intérieur, je suis diplômée de Camondo. J’ai commencé mon parcours chez Patrick Jouin, puis ai passé quelques années au Printemps, des expériences qui m’ont fait aimer travailler avec d’autres profils que le mien. Je suis rentrée chez L’Oréal il y a 16 ans en tant que retail designer. Après plusieurs évolutions au sein des marques de luxe de la division, je suis aujourd’hui directrice de la création, responsable du design et de l’image.
TSF
Parlez-nous de votre éducation au beau. Comment s’est développé votre « goût » ?
Jérémie
Mes parents étaient antiquaires à leurs heures perdues pour habiller notre maison familiale, une vieille bâtisse du XVIIe siècle évoluant au sein de notre famille depuis plus de 350 ans. J’ai donc passé mon enfance à visiter, tous les dimanches, les brocantes et les antiquaires. Ma mère est experte en art. Elle m’a donné envie de m’orienter vers des études d’art.
Alexia
Plus que le beau, j’ai toujours été fascinée par la créativité de l’homme, en art (sous toutes ses formes), en architecture, en design mais aussi en cuisine. J’ai également toujours été attirée par les métiers de l’artisanat. La patience et l’adresse de la main de l’homme qui peut faire tant de merveilles.
J’ai beaucoup voyagé dans le monde entier et j’en retiens une chose : nous avons le plus beau pays du monde ! Par sa richesse de paysages, la créativité de nos anciens… spécialement en Provence.
TSF
Votre histoire de famille est également étroitement liée à votre maison d’édition, Midi. Pouvez-vous nous la présenter.
Jérémie
Je viens d’une vieille famille de Haute-Provence, d’un petit village qui porte encore mon nom. J’ai passé mon enfance sur la Côte d’Azur, mes étés partagés entre la Camargue et notre maison familiale. Il y a quelques années, nous avons voulu meubler notre nouvelle acquisition à la Sainte-Baume. Nous cherchions du mobilier fait en Provence alliant respect des codes de la région et épure des formes. Nous n’avons rien trouvé. C’est ce jour-là que mon projet a commencé à se dessiner. J’ai passé plusieurs mois à sillonner la Provence. À rencontrer des artisans passionnés, des ébénistes, des potiers, des fabricants de tissus : tous ayant cette joie de vivre provençale, et surtout un savoir-faire unique. Enfin, le nom « Midi » est venu assez naturellement. Il signifie évidemment le Sud et le milieu de la journée. Mais surtout le milieu de vie, et c’était mon cas.
TSF
De quelle façon naissent les références de Midi ?
Jérémie
Ma démarche : surtout ne pas copier l’ancien. Cela serait caricatural, moins bien réalisé et non adapté à notre mode de vie moderne. Pour chaque pièce, je m’attache à raconter une histoire de notre patrimoine. Par exemple, j’ai voulu revisiter le radassié, la banquette iconique de Provence, faite avec un des derniers chaisiers de la région. Depuis, je collabore aussi avec un potier pour revisiter les classiques des lignes contemporaines. Dernièrement, j’ai également travaillé avec un rocailleur à Marseille pour développer des pièces en rocaille. Je cherche la radicalité. Des pièces intemporelles, indémodables, qui puissent se transmettre, comme le faisaient nos anciens. Des pièces faites uniquement avec des matières naturelles, brutes et un peu de façonnage.
TSF
Comment assurez-vous à votre tour la transmission de ces valeurs, de ce patrimoine et de cette vision à vos propres enfants ?
Jérémie
Un de mes oncles a réalisé une généalogie de notre famille qui est remontée à 1483. Nous leur transmettons déjà la fierté d’être de ce que nous sommes et d’où nous venons. J’ai beaucoup voyagé dans le monde entier et j’en retiens une chose : nous avons le plus beau pays du monde ! Par sa richesse de paysages, la créativité de nos anciens… spécialement en Provence. En termes d’art décoratif, c’est peut-être même la région la plus riche et la plus diverse avec la faïence de Moustiers, la terre cuite de Salernes, Varages, Biot… Aujourd’hui, nous avons tendance à penser que nous sommes bien plus intelligents que nos ancêtres car nous avons un smartphone entre les mains. Il suffit de voir comment étaient réalisées les « simples » fermes ici. Tout était réfléchi : leur position pour affronter le mistral, les ouvertures en façade – petites au nord, plus grandes au sud – les grands arbres devant pour affronter le soleil en été. Il est bien dommage que ce bon sens ait disparu ! L’histoire est faite de cycles, nous commençons à y revenir et ma démarche va dans ce sens.
TSF
Designers, artistes : quels sont ceux dont l’œuvre a eu une influence particulière sur vous, votre travail ?
Jérémie
J’aime beaucoup l’œuvre et la personne d’Oscar Niemeyer, architecte brésilien mort à presque 105 ans. Il a été le témoin et l’acteur de l’architecture du XXesiècle, notamment en édifiant Brasilia et par son travail avec Le Corbusier. Il a dompté la ligne droite et la courbe comme personne. J’ai habité Copenhague et j’ai découvert le travail des designers danois, spécialement Poul Kjærholm. Son travail d’assemblage sur les matériaux comme le bois, le cuir ou le verre est splendide ! Enfin, le photographe Willy Ronis – qui a beaucoup photographié la Provence – m’a énormément touché et inspiré. Il a su capter des moments de vie. En regardant ses photos, nous sentons les odeurs des herbes provençales comme le thym ou le romarin, mais aussi la présence de cette chaleur qui entre dans la maison à l’heure de la sieste. Nous entendons les cigales. C’est magnifique.
TSF
Racontez-nous l’histoire de votre rencontre avec cette maison.
Jérémie
Nous sommes arrivés dans le quartier, le long du canal Saint-Martin, il y a presque 15 ans. Un peu avant que le quartier se transforme en temple de la boboïtude. À l’origine, c’était un local industriel avec près de huit mètres de faîtage. Nous avons acheté cet espace sans trop savoir au final ce que nous allions faire, ni combien de temps nous allions y rester.
TSF
Comment l’avez-vous pensée ?
Jérémie
Nous l’avons organisée autour de ce patio. C’est le cœur de notre intérieur, très appréciable avec trois enfants pleins d’énergie joyeuse ! Cet espace s’articule sur trois étages. Au rez-de-chaussée sont aménagés les espaces de vie, le 1erétage appartient aux enfants, le dernier est le nôtre. Sa configuration nous offre la possibilité d’avoir chacun son coin tranquille. Dans cette période délicate, nous en avons tous besoin !
TSF
Et meublée ?
Jérémie
Notre goût a évolué au fil des années. Au début de notre mariage, nous étions dans une approche très épurée, presque minimaliste, avec peu de meubles, pas de tableaux aux murs, du blanc. Plus les années passent, plus nous avons besoin de chaleur et d’objets.
TSF
Que raconte ce lieu de vous ?
Jérémie
Aujourd’hui, notre intérieur est également le showroom de Midi. Je peux montrer mes meubles à mes clients dans un espace qui me ressemble, chaleureux et accueillant. Mes pièces se marient avec des objets qui ont appartenu à nos parents et à nos grands-parents. Nos enfants ont tous un avis sur notre décoration, tout est commenté, même les proportions. Nous leur avons laissé la décoration de la salle de bains. Qui n’a pas rêvé de dessiner sur les murs ? C’est un vrai papier peint fait maison, ils l’agrémentent au fil des ans, et nous pouvons voir l’évolution de leurs centres d’intérêt et de leur coup de crayon ! La cuisine est clairement la pièce de la famille. Nous y passons beaucoup de temps ensemble, à cuisiner, à manger mais aussi à travailler ou à traîner ! Pénélope y dessine pendant des heures. Cet espace est rempli de bocaux car nous nous efforçons de réduire au minimum nos déchets grâce au vrac, et le fait-maison est devenu une de nos activités du week-end (même la lessive et le dentifrice que nous réalisons !). Quant au salon, il est le lieu de nos jeux de société du dimanche soir et des apéros que nous organisons !
TSF
Pour vous, The Socialite Family, c’est… ?
Jérémie
Le témoin de notre époque. Nous voyons la personnalité des familles qui se reflète dans leur intérieur !
TSF
Vous vivez à Paris dans le Xe mais avez vos attaches en Provence. Quelles sont vos adresses incontournables dans ces deux lieux ?
Jérémie
Nous vivons dans le Xe comme dans un petit village. Le quartier a tendance aujourd’hui à s’orienter vers la rue du Château d’eau avec La Trésorerie, Mamiche, Univers BD et le marché Saint-Martin. Mais nous sommes aussi des grands fans du restaurant Sur Mer, de La Bécane à Gaston et du Verre Volé. Alexia aime aller chez Centre Commercial, pour leur sélection de marques françaises et écoresponsables dont Veja. Pour la Provence, il m’est difficile de vous donner des lieux. Avant, il faut la définir (car peu de personnes savent la délimiter). Elle part du Rhône jusqu’avant Nice. Il y a la Camargue, la Côte d’Azur, la Haute-Provence, le Luberon et la Drôme provençale. C’est pourquoi il m’est difficile de vous donner une adresse précise. Je dirais surtout de quitter les lieux touristiques et de rentrer dans les terres : les petits villages du Haut-Var, la vallée du Jabron et la Drôme provençale offrent par exemple des paysages magnifiques.
TSF
Où vous retrouverons-nous dans les prochains mois ?
Jérémie
Midi est lancée depuis peu, et je suis heureux de voir que ma marque plaît et répond à une vraie demande. Je collabore avec de nombreux architectes pour de magnifiques projets qui sortiront dans les prochains mois. Je suis également en discussion avec plusieurs boutiques et galeries en France mais aussi à l’étranger qui souhaitent la distribuer. Je souhaite avoir peu de partenaires, mais de qualité. Aujourd’hui, je continue de vendre en direct sur mon site marchand www.editions-midi.com. J’aime connaître mes clients et leur raconter l’histoire de mes produits. Grâce à cela, j’ai fait de merveilleuses rencontres ! Enfin, et surtout, je poursuis ma démarche et mes collaborations avec de nouveaux artisans afin de revisiter la Provence, son art de vivre, son artisanat.