Familles
La Stimmung maîtrisée.
Chez
Augustin David et Clémence, Odilon 4 ans, Gustave 2 ans
Collectionneur passionné et commissaire-priseur de son état, Augustin David a fait de son appartement familial une galerie. Sa galerie. Ou le prolongement de son activité d’antiquaire, accessible uniquement en ligne. Un écrin personnel élaboré avec sa compagne, où les pièces qu’il affectionne se retrouvent magnifiées dans leur usage quotidien, révélant au passage l’ensemble de leurs savoir-faire et la personnalité des artistes qui les ont façonnées. Une approche sensible et intelligente qui transpire la sincérité. S’intéresser à la décoration d’Augustin c’est aussi apprendre à le connaître. Lui et sa fascination pour la céramique et les potiers. Un éveil commencé jeune aux côtés de parents esthètes. Transmettre une liberté de ton est une affaire de famille. Odilon et Gustave, ses fils, y sont sensibilisés chaque jour. De son côté, l’historien a continué d’affiner son jugement années après années. Aujourd’hui celui-ci s’illustre avec l’envie simple de construire un foyer tendre mais surtout accueillant, où les sens et l’esprit de tous peuvent s’éveiller et se reposer. Association de couleurs, matières, textures : rien n’a été laissé au hasard. L’oeil est sollicité. L’effet, au rendez-vous.
Lieu
Paris
texte
Caroline Balvay
Photographies et Vidéos
Constance Gennari
L’aménagement, c’est d’abord l’usage que l’on fait d’un lieu de vie. Ça reflète un ensemble de goûts qui dessine un espace chaleureux où tout est fait pour accueillir la vie que l’on mène.
TSF
Augustin, qui êtes-vous ?
Augustin
Je suis antiquaire, historien de l’art et, à l’occasion, commissaire d’exposition. J’anime également la galerie Stimmung, qui est spécialisée dans l’artisanat et le design. Je me penche sur des œuvres, leurs créateurs et m’intéresse aux vies marginales parfois subversives ainsi qu’aux formes qui en découlent. Il me semble que les beaux objets sont toujours de bons objets qui éclairent ceux qui les utilisent car ces œuvres sont guidées par une posture que l’artiste nous confie en mémoire. Au fond, je ne crois qu’à une histoire qui capte les signes du temps en convoquant sans filtre tout ce qu’elle veut : le politique, le social, l’esthétique et surtout l’éthique.
TSF
Qui a décoré les lieux ?
Augustin
C’est un mouvement qu’avec ma compagne nous menons depuis que nous avons emménagé ensemble il y a 10 ans. Vu ce qui m’anime, je suis le plus souvent à la source des propositions pour la maison. Ceci dit, je sais bien qu’un foyer est fait d’autres choses que d’objets et que son âme résulte de tous.
TSF
Votre appartement est aussi votre galerie. Comment faites-vous la part des choses ?
Augustin
L’appartement est l’espace qui me sert à mettre les œuvres en perspective et à rencontrer quelquefois des collectionneurs et amateurs, mais la véritable vitrine de la galerie, son lieu propre, c’est le site internet. Pour une question d’autonomie et de liberté, j’ai choisi cette voie de présentation, mais les pièces avec lesquelles nous vivons en famille sont pour l’immense majorité des pièces qui partagent l’esprit et le sens de la galerie… mais qui ne sont pas à vendre.
TSF
Comment définiriez-vous votre ton en termes de mobilier ?
Augustin
L’aménagement, c’est d’abord l’usage que l’on fait d’un lieu de vie. Ça reflète un ensemble de goûts qui dessine un espace chaleureux où tout est fait pour accueillir la vie que l’on mène. Partant de là, je crois que chez nous, nous n’avons aucun programme établi mais l’envie simple de construire un foyer tendre et accueillant où les sens et l’esprit peuvent s’éveiller et se reposer. Je crois que quand on est antiquaire – ou passionné par quelque chose en général -, ce que l’on cherche intuitivement c’est l’étonnement, la surprise suscitée par une forme, une matière, un parcours. L’occasion de ’’Trafiquer l’inconnu pour trouver du nouveau’’ comme disait Rimbaud, avec la soif de trouver un sens présent à des échos du passé. Quitte à utiliser une chaise, des couverts ou à accrocher des choses au mur, gageons qu’elles soient bonnes et qu’elles stimulent nos sens.
TSF
Quelle éducation avez-vous eu par rapport aux meubles et à la décoration ?
Augustin
J’ai grandi dans un environnement bourgeois où les styles historiques des XVIIIe et XIXe siècles formaient l’expression d’un soi-disant “bon goût_“_. Heureusement, au-delà de cette position, ma mère nous emmenait dans des musées mais aussi en brocante ou chez Emmaüs, et j’aimais cette sensation que quelque chose puisse arriver dans ce trop-plein… Mes parents nous ont surtout transmis une liberté de ton et valorisaient nos envies d’ailleurs comme nos regards transversaux. Ces portes d’entrée vers d’autres champs m’ont donné l’intuition que l’art relève peut-être plus de l’éthique que de l’esthétique. L’art peut être un outil d’apparat – quitte à être stérile sous son plus mauvais jour – mais c’est plutôt en vivant l’art que se nourrit un regard sur le monde. Aujourd’hui, je crois que s’entourer de bonnes choses, c’est faire usage de leur aura. C’est comme aimer la présence proche, sur une étagère, d’un livre qui nous a accompagné et porté.
TSF
Quand a commencé votre passion pour la céramique et les potiers ?
Augustin
Jeune, lorsque j’accompagnais ma mère en brocante, j’ai commencé à collecter des céramiques. Puis je me suis pris d’affection pour la matière et j’ai formé peu à peu la conviction qu’elle forme une perspective essentielle pour saisir le sens de l’art en général. La céramique est millénaire, hautement symbolique, elle lie l’homme et la terre. D’ailleurs, dans les trois grandes religions monothéistes présentes en Occident, l’homme a été façonné en argile par Dieu. La céramique alimente une zone incertaine, un espace d’indifférenciation qui unit des traditions orales à des formes savantes, une mystique à un esprit frondeur. C’est aussi une zone d’indistinction entre arts mineurs et majeurs et le support d’un dépassement des clivages qui bornent trop lourdement l’art institutionnalisé en Occident ! Ma passion des potiers en découle logiquement. C’est formidable de relire l’histoire du monde, du Japon à la Bourgogne, des temps néolithiques à nos jours, sous l’angle éclairant d’un médium si riche ! Dans notre temps si étrange, ces chemins tracés par des personnes si diverses, à des époques elles aussi si diverses, sont une manne pour qui veut lire les signes du temps. On prête d’ailleurs cette maxime à Diogène ‘’Avec un pot, le sage possède l’univers’’.
TSF
Quelle est la signification du mot Stimmung ?
Augustin
La ‘’stimmung’’, en allemand, c’est l’ambiance ou l’humeur. C’est l’aura, celle d’un lieu ou d’une personne. C’est parfois l’air du temps. La stimmung, c’est aussi un concept utilisé par Heidegger et, après lui, par Agamben pour forger la possibilité d’une ontologie, d’un être-au-monde qui dépasserait la division entre sujet et objet tel qu’Aristote l’a actée pour toute la pensée occidentale. Avec la galerie Stimmung, j’entendais justement créer un espace où naît l’intuition qu’il existe entre des œuvres et notre présent. Des rendez-vous qu’il faut savoir saisir.
TSF
L’artiste que vous chérissez le plus en ce moment ?
Augustin
Tellement de gens m’intéressent ! C’est difficile de répondre à ça. Je cherche toujours à faire émerger des figures, des personnes qui incarnent une certaine idée du rapport entre l’art et la vie quotidienne et témoignent du sens trop oublié de nos gestes quotidiens. Mon dernier travail à la galerie s’est penché sur la personnalité géniale de Robert Picault, ami de Picasso et défenseur de la commensalité : l’art de partager le repas. Profondément attaché à la réunion de l’art et la vie, chère aux avant-gardes du XXe siècle, Picault a œuvré à promouvoir un art tourné vers la quotidienneté, sûr que l’humain et le commun sont la base de la vie heureuse. C’est un homme exceptionnel qui a incarné en France un esprit porté ailleurs par des gens mondialement reconnus et révérés comme Yanagi au Japon ou Stig Lindberg en Suède. Loin des poncifs distinguant art et artisanat, main et pensée, Picault mérite d’être redécouvert et ses pièces d’une beauté simple et essentielle parlent pour lui.
TSF
Est-ce que tout est à vendre chez vous ?
Augustin
Non et heureusement ! Ce serait un peu flippant, non ? Nous sommes attachés en famille à certaines pièces qui nous entourent. Il faut plutôt voir la galerie comme un prolongement de notre façon de vivre que l’inverse.
TSF
Aimez-vous changer votre mobilier au fil des saisons ?
Augustin
Non. Je sais bien que les codes de la mode se sont immiscés dans l’univers de la décoration mais je crois plus sûrement à une évolution douce. Chacun évolue dans ses centres d’intérêts, dans ce qu’il projette sur ce qui l’entoure, mais il m’apparait peu sensé de changer d’objets comme de chemise. Je ne reconnais aucune vertu au renouvellement permanent, comme à l’immobilisme d’ailleurs ! Je crois que rien n’accentue la beauté́ des choses comme leur utilisation.
TSF
La pièce de vos rêves les plus fous ?
Augustin
J’aime tellement de choses ! Cependant, je n’ai pas nécessairement besoin de les posséder, en tout cas j’essaie de ne pas viser cela. Pour jouer le jeu quand même, je serais content que mes enfants rencontrent une toile de Gauguin au détour du salon, pourquoi pas son C_heval blanc_ d’Orsay ! Sinon, je pourrais me satisfaire d’un dessin d’Alfred Kubin…
TSF
Celle que vous préfèrez chez vous ?
Augustin
Difficile à dire. Peut-être un vase de Jean Carriès, le chef de file d’un véritable renouveau de la poterie en France, né à la fin du XIXe siècle dans un terroir local très français, mais sous influence japonaise et dont l’idéal perdure chez certains esprits féconds aujourd’hui encore.
TSF
Pouvez-vous nous confier quelques adresses secrètes où l’on pourrait chiner du mobilier ?
Augustin
Les bonnes adresses sont rarement secrètes ! Parmi celles que je conseillerais, il y a les puces, les brocantes et les sites internet pas underground pour deux sous. Les enchères sont aussi un bon terreau. Ceci dit, si je peux me permettre une remarque, à mon sens, bien chiner, ce n’est pas payer moins cher un objet habituellement onéreux. C’est plus sûrement regarder ce que la plupart des chineurs ne regardent pas, ou pas encore. Bien chiner, c’est ouvrir les yeux, écouter et aller de façon autonome en se faisant confiance. N’importe qui peut s’émerveiller de quelque chose d’exceptionnel, mais notre regard peut être plus pénétrant… Il ne suffit pas de voir l’extraordinaire dans l’extraordinaire. Il faut saisir la valeur dans le naturel, le familier, le simple, l’oublié. N’y a-t-il rien de plus rare que de saisir le précieux dans l’ordinaire ?
TSF
Un bon restaurant à nous recommander à Paris ou ailleurs ?
Augustin
Nodaïwa, un resto japonais du Palais-Royal spécialiste de l’anguille grillée.